Le Shaârghot est un androïde contaminé par un virus qui évolue dans l'univers apocalyptique de la cité-ruche. Sa maladie l'incline naturellement vers la destruction. Derrière ce concept de science-fiction sombre se cache une véritable critique de notre société moderne. Après deux albums qui suivaient les péripéties de ce personnage, les géniteurs de ce groupe indus ont décidé de le placer dans une nouvelle situation délicate. Cloîtré, celui-ci pousse des cris de rage qui résonnent au-delà des barreaux de sa cellule mentale.
Toute ressemblance avec des événements ayant eu lieu en 2020 ne serait aucunement fortuite et ne pourrait être le fruit d'une pure coïncidence. La pandémie du Covid-19 est venue perturber les plans bien définis d'Etienne Bianchi, qui a toujours une vision d'ensemble assez large sur son œuvre. Mais qu'à cela ne tienne, cette expérience désastreuse n'aura pas eu raison de Shaârghot. Le décor anxiogène est planté d'entrée avec les sonorités d'un journal télévisé qui finit par imploser sous le coup de la prolifération d'intervenants et d'informations, laissant la place à une foule qui réclame la venue du Shaârghot.
Trop longtemps isolé, le groupe français semble rattraper le temps perdu en alignant des morceaux aussi énergiques que rageurs, comme naguère. Etienne Bianchi possède toujours cette ambivalence schizophrène : plaintive, sa voix peut dégouliner d'une violence crasse dans la seconde suivante ('Sick'). Les guitares de Brun'o Klose et de Paul Prevel tranchent directement dans le lard, l'artillerie lourde est sortie sur 'Life And Changes', 'Great Eye' ou encore 'CutCutCut'. Nous retrouvons toujours une dimension dansante en particulier sur ‘Are You Ready ?’ avec sa rythmique électro
sonnant dance 1990's.
La musique de Shaârghot est efficace et chirurgicale, lançant un uppercut droit dans les oreilles, mais au lieu de nous assommer son écoute s'avère fluide. La violence sait laisser place à la subtilité : 'Red Light District'
ralentit légèrement la cadence mais pas l'intensité et ajoute un rythme
martial redoutable assez proche de Marilyn Manson de la grande époque. 'Jump' se dote de sonorités orientales sur l'intro, adoptant un chant proche de Slipknot ou de Prodigy et des effets cartoonesques. 'Chaos Area' se révèle encore plus insaisissable, en véritable montagne russe sonore.
En ce qui concerne la production, le groupe s'est entouré de nouveaux partenaires de jeu : Arco Trauma (Les Tambours Du Bronx, Sonic Aera) et Thibault Chaumont (Igorrr). Ensemble, le petit laboratoire des ténèbres d'Etienne Bianchi et de ses congénères
apprentis sorciers s'illumine d'influences diverses et variées mais
lorsque la potion est prête, c'est du Shaârghot pur jus qui en ressort. ‘Something in my Head’ avec ce gimmick de clavier entêtant s'aventure sur des terrains électro-pop et pourrait facilement passer à la radio à des heures de grande écoute. 'Ghosts In The Walls' brandit la carte instrumentale atmosphérique pour
nous laisser respirer après une agression sonore de haut niveau mais
nous pouvons regretter que le morceau ne soit pas plus développé et ne
serve que de transition alors que le plaisir instrumental méritait
d’être prolongé. Malgré ces qualités, l'album aurait d'ailleurs gagné à écourter son propos (55 minutes).
Le nouvel album de Shaârghot poursuit les aventures de notre écornifleur de Shadows préféré, mais le confinement qui lui a donné naissance a paradoxalement libéré de ses chaînes la bande d'Etienne Bianchi. Si le groupe évolue encore dans le giron industriel, sa musique s'apparente de plus en plus à un puzzle sonore, explorant différentes directions et retombant sur ses pattes pour toujours sonner comme Shaârghot. Victime des circonstances, cet album imprévu risque d'avoir un impact sur la suite de l’œuvre du groupe déjà écrite à l'avance. Histoire à suivre...