Kotebel est un projet né de l’esprit créatif et original de son génial géniteur espagnol Carlos Plaza, multi-instrumentaliste et compositeur de talent. Entouré et accompagné par des musiciens à l'interprétation exemplaire et par une chanteuse à la voix d'opéra, cet auteur prête vie à un univers musical dont le dessein consiste à élever la créativité et l’expérimentation à l’extrême, au divin. Après un « Fragments of Light » étincelant et lumineux, Kotebel dévoile « Omphalos », son quatrième album.
« Omphalos » ? Selon la cosmogonie de la religion grecque antique, Zeus aurait lâché deux aigles des points extrêmes oriental et occidental du monde et, au point où ils se rencontrèrent, il laissa tomber l’Omphalos, pierre blanche de forme conique, marquant ainsi le Centre, le « nombril du monde », symbolisant par là même le point unique, lieu de rencontre de la différence, de la diversité. Réanimé par les dons de Carlos Plaza, l’Omphalos revit et n’a rien perdu de sa toute-puissance, réunissant en son cœur des forces divergentes et rassemblant des influences artistiques variées : la musique classique, l’opéra, le rock symphonique et le jazz tendent ainsi vers le Centre et, s’unifiant, composent une œuvre majestueuse, sculpturale, architecturale. Miroir de la vie, croisement des cultures et enlacement des émotions, cette création invite à la réflexion, à la remise en question, à la méditation, à l’éveil. Mieux, elle nous convie à un voyage unique : la découverte d’un univers encore inexploré, échappant à la conscience et aux lois humaines.
La première escale du voyage est la plus longue et, tout au long de ses treize minutes, nous étonne et nous interroge en entrechoquant nos sens, en défiant nos repères. Des créatures d’un autre monde, aux formes parfaites et aux couleurs éblouissantes semblent se pourchasser et se traquer, à l’image de cette flûte enchanteresse qui joue au chat et à la souris avec une guitare spatiale, lesquelles, sous l’influence d’un orgue modérateur et d’une voix divine, s’unifient soudainement pour former un balai aérien limpide et harmonieux. Ce premier titre, malgré sa diversité saisissante et son ampleur authentiquement épique, n'en demeure pas moins un modèle de cohérence, de cohésion, de connexion entre le tout et les éléments singuliers et uniques, entre les parties et l’ensemble, entre les nuances subtiles et les tourbillons sonores. Les contrastes sont poussés à l’extrême et les transitions accentuées et permanentes, mais ce flot perpétuel de créativité est contrôlé par l’art de l’adéquation et par la magie de l’harmonie. Le rythme est endiablé et dynamique. Envoûtés dans ce tourbillon, nous retenons notre souffle, peinant à comprendre quelle puissance est en train de s’emparer de notre âme. Littéralement possédés par la magie et abandonnés par la raison, nous sommes submergés par une atmosphère ensorcelante dans laquelle s’entremêlent les envolées au Mellotron, les solos d'une guitare agressive, les portées d'une flûte planante et la voix instrumentale, scintillante, envahissante, d'une déesse cantatrice insaisissable.
« Excellent Meat » confirme cette sainteté. Marqué par l’empreinte de César Garcia, ce titre traduit la passion du guitariste pour le rock progressif, en délivrant des accents saturés et menaçants, de l’improvisation, de la provocation et de l’alternance, avec ses intermèdes dévoilant le jeu maîtrisé d'une guitare acoustique qui rappelle les origines espagnoles de Kotebel. Notre esprit est maintenant prêt pour pénétrer, dans sa profondeur, la pièce magistrale de l’album.
« Pentacle’s Suite », l'étape la plus profonde de notre voyage nous invite à nous immerger au sein d’un espace interplanétaire, découpé en six parties, dans lesquelles chaque instrument joue un rôle primordial, comme un fil conducteur, un guide spirituel. Un court prologue nous prend par la main, pour ne pas nous heurter et pour faciliter notre immersion. Il nous guide vers le Soleil, dont la chaleur d’une flûte aux accents seventies judicieusement interprétés et les flammes d’une guitare hypnotique et planante s’imposent à nous. Nos sens sont aussitôt transportés sur Mercure, où nous accueille la voix ensorcelante de Carolina Prieto, qui nous berce et nous élève vers les hauteurs célestes. Sommes-nous en train de toucher Dieu ?! Notre rêverie contemplative, accompagnée par la jouissance d’un solo floydien, se poursuit à l’approche de Venus, dont les arrangements au piano s’efforcent de contrôler une flûte virevoltante tout en réveillant les esprits des grands maîtres du classique. Vient ensuite Mars, si intrigante pour la curiosité humaine. Et si cette planète n’était-elle pas finalement une ode à la mélodie spirituelle et le berceau d’une forme de vie animée par la symphonie ?
Il est déjà temps de quitter les planètes. Notre voyage arrive à sa fin. Carolina Prieto, de son timbre magnifique, semble nous le rappeler, évoquant une forte mélancolie que l’on devine empreinte d’émotions profondes, d’une tristesse tantôt dominée par la nostalgie et par la béatitude. On aimerait ne jamais la quitter… Comme ensorcelés, nous nous accrochons à chacune de ses notes et nous nous abandonnons tout entier à sa volupté. Les deux escales suivantes « MetroMnemo » et « Joropo » nous offrent des paysages ancrés dans le jazz, comme si l’arc-en-ciel qui s’est présenté à nous n’était pas suffisamment rayonnant, comme s'il manquait une palette sonore à ce tableau multicolore.
Nous voilà de retour où tout avait commencé, à l’« Omphalos », le rassembleur, le Centre, qui, pour nous aider à terminer le voyage, se complaît à accompagner ses propos de percussions, replongé à nouveau dans le berceau d'origine de ses créateurs, comme pour leur rendre, sur la fin, un hommage appuyé.
Et nous ?! Impressionnés, émus, troublés, bouleversés, touchés de plein fouet en plein cœur… On n’ose pas se retourner pour regarder en arrière, par peur de ressentir cette douloureuse impression que l’univers de l’Omphalos s’éloigne à jamais de nous. Ce voyage nous a fait vivre un flot d’émotions incontrôlables. Les yeux humides, nous prenons une profonde respiration et levons notre regard vers le ciel, vers cette étendue mystérieuse qui apparaît insondable. Un doute envahit soudainement notre esprit ; et si nous n’avions rien compris ?! Désorientée, sans repères, notre âme mortelle était-elle assez mûre pour comprendre le message et y déceler toutes ses richesses subtiles ?!
Avec « Omphalos », Kotebel a écrit une pièce magistrale, un coup de maître. Difficile d’accès au premier abord, de par ses changements de rythme incessants, de par son mélange improbable, et de par ses textures escarpées et menaçantes, cet enregistrement peut faire peur et rebuter. Au-delà du conventionnel et défiant les frontières, il se peut qu'il ne plaise pas. Complexe, il peut faire fuir les plus conformistes. On y entre ou pas. On l’aime ou on le refuse.
On dit souvent que beaucoup de choses se déclarent à nous au gré de multiples écoutes. Avec Kotebel, ce propos n'a semble-t-il jamais été aussi vrai, tant la découverte d'« Omphalos » paraît sans fin, inépuisable. A chaque fois, nous entendons quelque chose de différent; nos pensées se contredisent, nos sentiments alternent d'un état émotionnel à un autre. Plusieurs voyages seront donc nécessaires pour qu’il se révèle toujours plus et entre dans l’inconscient de chacun.
Car tout est là… Apparaissant inégalable dans son registre, l’ « Omphalos » de Kotebel va au-delà des perceptions humaines, de la raison. Il ne s’explique pas et ne se décrit pas, il se vit intensément. Il n’est pas du rock progressif mais de l’art à l’état pur. Il n’est pas un propos musical, mais un éveil des sens et de l’esprit... Une authentique éducation musicale.
Saisirez-vous cette main qui se tend à vous et vous laisserez-vous guider par sa grâce?