Grip n'est pas un groupe tellement fécond puisque que "Solstici" n'est que sa deuxième enclume au bout de sept ans d’une carrière qui jusque-là ne se limitait qu'à un seul et lointain premier jet ("Sessions From Beyond"). Tout est donc à (re)faire pour ces Espagnols pourtant extrêmement talentueux que beaucoup (dont votre serviteur) découvriront enfin aujourd'hui.
Bien mais Grip, qu'est-ce que c'est ? C'est du doom couturé de post metal auquel un chant féminin confère, outre un charme évident et un pouvoir d'attraction qui l'est tout autant, une crépusculaire mélancolie. Rien de nouveau peut-être à l'horizon pour qui aime arpenter le genre et en téter toutes les mamelles qui se présentent, mais la voix d'Ana Ruiz possède pourtant vraiment quelque chose de particulier, à la fois sentencieux et lointain, habité et engourdi sans être monotone. Les paroles mêlant le catalan à l'anglais ('Pirene') participent à cette fascination et à cette atmosphère aussi granitique que ténébreuse.
Creusées dans une roche volcanique, les guitares sont à l'unisson de ce désespoir rocailleux et néanmoins quasi hypnotique ('Tretze Vents'). Rarement le tempo s'emballe, tout du long encrassé par une tristesse pétrifiée. L'ensemble pourrait s'abîmer dans un monolithisme aussi ennuyeux que fâcheux, il n'en est toutefois rien car les Espagnols envoûtent pour mieux nous entraîner avec eux dans les entrailles d'une mine sans fond dont les parois sont grattées par ces guitares terreuses, rongées par une inexorable douleur qui confine à une forme de beauté punitive et sacrificielle ('Black Hounds'). Epaisses comme des câbles à haute tension, elles n'en échappent parfois pas moins à cette langueur plombée pour s'élever vers des cimes cependant toujours nimbées de souffrance ('Solstici').
Lancé par l'immense 'Roots' qui résume en à peine plus de six minutes l'approche de ses créateurs, réceptacle puissamment émotionnel d'un post doom immersif, ce deuxième Golgotha a quelque chose d'un bloc, mégalithe dressé dans la nuit dans toute sa force dramatique contre lequel se fracasse ce chant féminin d'une tragique solennité. Et comme toujours avec le genre, le déterminisme géographique commande une musique tellurique teintée d'une poésie noire, dont les traits crépusculaires doivent tout à la région ensoleillée qui l'a vu naître.
Fort de cette livraison coulée dans le doom le plus pénétrant, on souhaite que Grip se montre désormais plus prolifique et qu'il lui offre très vite (pas dans six ans donc) un successeur, même s’il est vrai que sa rareté rend finalement chacune de ses processions plus précieuses encore...