L'album éponyme du groupe le plus "hardcore" de toute la galaxie prog' est sans doute l'un des meilleurs. Et si une grande partie de l'oeuvre de ELP a incontestablement mal vieilli, ce premier opus a bien mieux survécu à l'usure du temps.
Les trois composantes de ce trio brittanique sont déjà des pointures du genre quand ils se regroupent. Keith Emerson avait ouvert la voie de l'exploration du monde "classique" avec son groupe The Nice, Greg Lake fut le bassiste-chanteur de la formation historique de King Crimson, le groupe qui inventa le prog'. Quand à Carl Palmer, il joua nottamment dans Crazy World of Arthur Brown. Selon la légende, Emerson et Lake se sont rencontrés après un concert réunissant leurs deux groupes. Leur vision des choses convergait à tel point qu'ils décidèrent de former leur propre groupe, et débauchèrent le tout jeune Palmer.
Tout dans ce disque prédit le glorieux avenir d'ELP, et concentre leurs meilleures recettes. La reprise de thèmes classiques, chers à Emerson, donneront l'ultra-rapide "Barbarian" (tiré de l'Allegro Barbario de Bartok), et le psychédélique "Knife-Edge" (qui contient un morceau de la Sinfoniette de Janacek). ELP sait aussi conférer des accents folks (le paisible "Lucky men"), et le duo Emerson-Palmer rivalise de sa fameuse virtuosité dans "Tank". Seul le tryptique d'Emerson ("The three fates"), joué au piano et à l'orgue d'église, paraît aujourd'hui un peu désuet. Le sujet (Clotho, Lachesis, et Atropos, les trois déesses grecques du destin, qui filaient et coupaient le fil de la vie), était pourtant bien choisi.
C'est Greg Lake, également auteur de toutes les paroles et producteur, qui tire le mieux son épingle du jeu en écrivant "Take a pebble". Ouvert par un piano romantique, ce morceau de douze minutes vire au folk, puis passe au solo jazz. En laissant libre court à l'improvisation des trois amis, "Take a pebble" a montré toutes les qualités du groupe et reste le meilleur morceau de leur carrière.
On a régulièrement jasé sur l'aspect pompeux de certains morceaux d'ELP (suivez mon regard...toujours les mêmes dictateurs de la presse rock). C'est oublier que ce groupe a exploré jusqu'à ses plus intimes profondeurs l'esprit prog', parfois à ses dépens, mais aussi parfois pour notre plus grand bonheur.