Si le bleu roi est connu pour être une nuance de couleur profonde issu de la force de l'esprit, Bleu Reine en est la transposition musicale. Mais plus encore que de l'esprit, son œuvre est surtout issue du cœur. Il aura fallu trois ans de travail acharné pour que Léa Lotz (à l'origine du projet) aboutisse à "La Saison Fantôme". Le début de sa conception coïncide avec cette privation de liberté qu'on a tous connue, celle de l'enfermement, de la solitude jusqu'à la redécouverte d'une certaine liberté, faite de doutes et d'incertitudes quant à l'avenir. Sans être forcément autobiographique, cet album met l'auditeur face à lui-même.
Pour cela, Bleu Reine, musicienne talentueuse, va utiliser de façon subtile toute les nuances du rock et de l'alternatif comme un peintre utiliserait la palette pour apporter du relief à son tableau. Au lieu du pinceau, la guitare est l'instrument au centre de "La Saison Fantôme". L'album s'ouvre sur un titre purement rythmique et plutôt entraînant avec une touche roumaine ('Sighisoara') et alterne les ambiances faites de moments de silence (relatif) et de saturation ('Un Visage Sans Nom' et son magnifique pont instrumental).
Dans son ensemble, l'album prend son temps pour se dévoiler totalement, donnant une fausse impression de monotonie. A force d'écoutes, il paraît beaucoup plus riche que de prime abord. Ce travail se rapproche de celui de PJ Harvey et de sa liberté créatrice. Parfois les morceaux reposent sur des riffs efficaces, notamment dans le superbe 'Bal des Sabres' hypnotique, ou sur des moments plus posés, vaporeux, d'obédience plus électronique ('Comme un Seul Homme' extrêmement touchant et désarmant). Le point d'orgue de l'album est constitué par le magnifique 'Belle qui Tiens ma Vie', sorte de ballade moyenâgeuse moderne expérimentale avec ses nappes de claviers fantomatiques captivantes.
Le travail musical est subtil et toujours juste. Il apparaît souvent minimaliste comme pour laisser plus d'importance aux textes poétiques et bien écrits ('Pâle Lumière' avec la participation de Neige du groupe Alcest), joliment mis en valeur par une production maison très réussie. Paroles et musiques ont rarement aussi bien collé ensemble avec pour exemple le morceau de folk un peu celtique 'Lorelei' superbement arrangé tout comme l'est le lumineux 'Automne Orange'.
Ce sont donc ici 13 nuances de Lotz que l'artiste nous offre avec "La Saison Fantôme", faites de moments contemplatifs, jamais ennuyeux, mélancoliques, clairs-obscurs et audacieux. Rarement un album aura été aussi profond et touchant.