Vince Clarke est un véritable félin. Membre fondateur de Depeche Mode, qu'il quitte après la sortie du premier album, il s'acoquine ensuite avec Alison Moyet au sein de Yazoo, décrochant le jackpot avec les tubes "Don't Go" ou encore "Only You". Mais les relations entre le duo étant glaciales, Vince Clarke se lance à la recherche de nouveaux partenaires qu'il croit avoir trouvés en la personne de Feargal Sharkey, le chanteur des Undertones, et d'Eric Radcliffe. Mais malgré un excellent single, 'Never Never', The Assembly s'est rapidement dissous. C'est finalement avec un inconnu répondant au nom d'Andy Bell que Vince Clarke a retrouvé les feux de la rampe et de manière durable. Point n'est besoin de présenter Erasure et ses titres synthpop imparables ('Oh L'Amour', 'Sometimes', 'Blue Savannah'). Le claviériste naguère guitariste a également multiplié les collaborations : VCMG (avec son ex complice Martin Gore), "Automatic" (avec Jean-Michel Jarre), The Clarke & Ware Experiment (avec Martyn Ware)... expliquant peut-être que Vince Clarke n'aie pas réalisé d'albums en son nom propre. Un premier album "Lucky Bastard" publié en 1993 faisait la part belle à des expérimentations électroniques minimalistes mais semblait n’être qu'une blague potache. Il ne serait pas fallacieux d'estimer que "Songs Of Silence" est le premier véritable album solo de Vince Clarke.
L'amateur de synthpop lumineuse risque de prendre du plomb dans l'aile dès les premières minutes de cet opus. Ce "Songs Of Silence" nous invite à pénétrer dans de larges espaces oppressants à l'image du bien nommé 'Cathedral' qui ouvre l'album de manière massive et austère. Vince Clarke s'aventure avec succès dans le monde de l'ambient, maîtrisant les synthétiseurs modulaires qui sont les principaux ingrédients de l'opus. D'autres éléments viennent également broder autour de ces boucles électroniques, telle la guitare qui rythme 'Scarper'. Le chef-d'œuvre de l'album, l'oriental 'The Lamentations Of Jeremiah', laisse s'exprimer l'éloquent violoncelle de Reed Hayes qui nous renvoie vers les climats sinistres du "Islands" de King Crimson. Nous retrouvons d'ailleurs quelques passerelles lancées en direction de certains confrères, John Foxx ('Cathedral' semble évoquer "Cathedral Oceans"), Tangerine Dream ('White Rabbit'), voire Pink Floyd (les loops de 'Mitosis' rappellent la boucle infernale d' 'On The Run' sur "The Dark Side Of The Moon"). Cet esprit intimiste et sombre n'est pas étranger au contexte de la gestation de l'album, celui-ci ayant été conçu en solitaire à New York pendant le dramatique épisode du confinement du Covid.
L'album n'est toutefois pas intégralement instrumental. Sur 'Passage', la choriste Caroline Joy nous apporte un peu de chaleur étoilée et sur 'Blackleg', une voix mystérieuse déclame 'Blackleg Miner', une chanson folk du XIXème siècle. Malgré ses qualités, quelques longueurs se ressentent à l'écoute de certaines constructions minimalistes (en particulier sur 'Imminent') même si aucun morceau ne dépasse les 5 minutes. Avec "Songs Of Silence", nous avons entre les oreilles l'album rare d'un musicien emblématique de toute une génération. Une porte ouverte au monde merveilleux mais parfois glacé de l'ambient.