Cinq minutes et vingt et une secondes, c’est le temps que dure ‘Slowburner’, premier extrait de "Sonic Moons". Cinq minutes et vingt et une secondes de bonheur granitique, de jouissance plombée. Riffs à la fois massifs et hypnotiques qui s’agrippent à la mémoire comme une moule à un rocher et chant rugueux qui racle la terre argileuse comme le soc d’une charrue irriguent cette saillie obsédante aux allures d’enclume qui devrait sans peine ravir la palme du meilleur titre de l’année, le genre de morceau qu’on ne peut s’empêcher d’écouter en boucle. Au casque, avec les potards poussés à fond, le résultat est tout bonnement démentiel. Difficile de s’en remettre.
Si le reste de son menu ne reproduit pas (tout à fait) cette même intensité orgiaque, ce quatrième album de Domkraft n’en assène pas moins une véritable leçon de stoner bourru qui sans aucun doute fera date autant dans le genre comme dans la carrière du groupe. Celui-ci avait déjà furieusement décrassé nos cages à miel avec trois galettes ("The End Of Electricity" en 2016, "Flood" en 2018 et "Seeds" en 2021) qui ont fixé dans la roche en fusion le psychédélisme renfrogné du power-trio suédois, alliage aussi efficace que surprenant de sonorités planantes voire cosmiques et de dureté rocailleuse, à la croisée de Hawkwind et de MC5.
Mais "Sonic Moons" propulse très clairement la musique des Scandinaves à un niveau supérieur, parvenant au juste équilibre entre les divers traits qu’affichent ses géniteurs. Domkraft possède vraiment une manière bien à lui de couler la beauté envoûtante du rock psyché dans un creuset extrêmement lourd, presque patibulaire. Les compositions les plus dilatées se prêtent bien sûr à cette hybridation, ‘Whispers’ (plus de neuf minutes) et ‘Stellar Winds (un peu plus court) le démontrent. Placée en début de parcours, cette jubilatoire doublette gronde d’une tension tellurique capable de fissurer un barrage hydroélectrique, qu’enveloppe néanmoins une brume épaisse et hypnotique. Aux riffs puissants embourbés dans un socle volcanique et au timbre râpeux du bassiste Martin Wegeland qui vomit ses tripes écorchées comme si demain ne devait pas exister, s’oppose la délicatesse dramatique de lignes de guitare stratosphériques.
A l’autre bout de l’écoute, ‘The Big Chill’ a quelque chose d’une épopée lunaire tracée dans cette matière caillouteuse chère aux Suédois. Au milieu se serrent quatre pièces plus trapues dont on pourrait penser qu’elles font davantage la part belle à l’efficacité agressive. En vérité, ce format nerveux ne les exonère en rien de cette sève ensorcelante qui les irrigue, même si un titre comme ‘Magnetism’ affole le compteur Geiger tandis que le chant se montre plus abrupt et boueux encore sur fond de guitares gorgées d’effets. Dans le sillage escarpé du déjà cité ‘Slowburner’, ‘Downpour’ est remarquable, mélange de hargne et d’ambiances nébuleuses en même temps que rampe de lancement vers les étoiles.
Avec "Sonic Moons", guttural et coriace mais d’une grande force hypnotique, Domkraft place la barre très haut et accouche d’une bûche parmi les plus orgasmiques de l’année.