Depuis quelques années, nous voyons fleurir les duos. La France s'avère d'ailleurs particulièrement friande de cette forme minimaliste, que l'on songe à Electric Jaguar Baby ou à Knuckle Head pour ne citer que deux exemples. Par leur énergie fiévreuse, le hard rock en général et sa déclinaison stoner en particulier se prêtent idéalement à cette curieuse mais souvent jouissive mutation à laquelle participe Moundrag.
Composé de deux frangins, Camille et Colin Goellaën Duvivier, le tandem rennais possède toutefois une particularité et pas des moindres. Alors que la plupart des duos musicaux fonctionnent sur le mode guitare (ou basse) /batterie, lui ne dresse aucun manche mais plutôt des claviers juteux ! Ce faisant, Moundrag démontre que l'on peut bétonner un Hard Rock sans guitare, ce qui parait inconcevable tant le genre et son identité sauvage se sont forgés autour de l'imagerie électrique véhiculée par cet instrument. L'écoute de "Hic Sunt Moundrages" ne trahit à aucun moment l'absence de ces quatre ou six cordes, qui ne bâillonne absolument pas la fougue humide de ce hard rock aux embruns progressifs.
L'orgue omniprésent qui bave de partout renvoie aux grandes heures de Deep Purple. Tout du long, le fantôme de Jon Lord recouvre ce menu gorgé d'un feeling moelleux à l'instar de ce 'Demon Race' batailleur auquel la frappe de Colin confère un groove furieux. De fait, la coloration antédiluvienne des claviers propulse la musique tissée par le tandem dans une faille temporelle, entre la fin des sixities et le début des années 70. Il suffit d'écouter l'orgasmique 'The Creation' et son pouls chaloupé pour se croire plongé cinquante ans en arrière. Même énergie contagieuse, même liberté gourmande mais jamais poussiéreuse. Si le chant de l'organiste Camille n'est pas étranger à la sève progressive qui coule dans les veines de "Hic Sunt Moundragues", témoin la très belle ballade 'Shade In The Night', tendre et boisée, c'est avant tout le gigantesque (à tous points de vue) 'La Poule' qui le raccroche à cette chapelle.
Soit vingt minutes (presque) instrumentales que tapissent des claviers chaleureux comme échappés des vieux Genesis, véritable périple aux sonorités d'un autre âge. Le point G est atteint. Délicieusement psychédélique, l'album n'en questionne pas moins notre monde actuel au bord de l'apocalypse ('The Hangman'), préoccupation grave et désespérée qui pourtant inspire au duo une musique non pas sombre mais bourrée d'une force salvatrice, comme un remède face à une réalité rongée par la haine et l'injustice.
Entre Deep Purple et Kadavar, "Hic Sunt Moundragues" délivre une cure de bonheur que voile néanmoins une sourde mélancolie, premier album d'un duo claviers/batterie étonnant.