Malgré ses plus de trente-cinq ans au compteur, Darkthrone continue de prêcher la bonne parole au rythme soutenu d’une cartouche tous les deux ans, ce qui laisse même encore le temps à Nocturno Culto et Fenriz de faire des infidélités à leur principal port d’attache. L’année 2024 se montre d’ailleurs bien remplie puisque le premier publie prochainement un nouvel album de Sarke ("Endo Feight") tandis que le second a participé au premier rot de Coffin Storm ("Arcana Rising"). Et puis, il y a donc "It Beckons Us All", 21e rondelle de Darkthrone.
Bien sûr, le black metal originel est loin mais les Norvégiens s’en foutent. Punks en diable, ils ont toujours fait un doigt à tous les mécontents et les esprits chagrins leur reprochant d’avoir évoluer (à leur manière, s’entend!). Il faut pourtant être sourd ou d’une incorrigible mauvaise foi pour ne pas admettre que les disques qu’ils moulinent depuis dix ans, dans une veine plus heavy et proto doom, se veulent bien plus enthousiasmants que les "Sardonic Wrath" (2004), "The Cult Is Alive" (2006) ou "Circle The Wagons" (2010), efficaces au demeurant.
Le successeur de "Astral Fortess" s’enfonce même encore plus profondément dans une fente lugubre et pesante, ce qui lui donne des airs d’album de vieux doom antédiluvien, comme l’illustrent ‘The Bird People Of Nordland’, prisonnier d’une nappe de mazout, ce qui ne lui interdit pas de brutales accélérations, ou plus encore le terminal ‘The Lone Lines Of The Lost Planet’ dont les dix minutes, tout d’abord étonnamment très mélodiques, presque sirupeuses, sont engourdies à la façon funèbre du doom death des années 90. Les premiers Paradise Lost ou Celestial Season ne sont alors pas loin. Surprenants, des chœurs parcimonieux surgissent par moments mais l’ambiance demeure toutefois froide et sinistre à souhait cependant que les guitares conservent ce grain pollué typiquement black metal, témoin ce ‘Black Dawn Affiliation’ d’une rugosité crépusculaire et dont les riffs ressemblent à de glaciales morsures dans la peau.
Le frein à main certes bien serré (ce ‘The Heavy Land’ pachydermique qui ne passe jamais la seconde) et quelques touches bizarrement cosmiques (l’intro de ‘Howling Primitive Colonies’) mises à part, "It Beckons Us All" n’en reste donc pas moins du pur Darkthrone, primaire et rocailleux, nocturne et minéral, comme venu du fond des âges. Mieux, plus encore que ses récents prédécesseurs, il inocule un venin obsédant grâce à des compositions lourdes et épiques, nimbées d’un psychédélisme noir et gelé comme un astre mort dont les ambiances morbides et stellaires convoquent la vieille SF des années 60 et rappellent un peu les lointaines escapades électroniques aux confins la Berlin School du défunt Neptune Towers de Fenriz.