Sans pouvoir être considéré comme un faux pas, le fait est que "Alföld" (2023) avait quelque peu déçu. Sans doute parce que nous souhaitions le voir prolonger l’orgasme euphorisant déclenché par son immense prédécesseur, "Vadak" (2021). Or, par ses atours plus extrêmes, plus lourds également, il n’en était donc rien. D’où le sentiment mitigé ressenti à l’encontre d’un album néanmoins toujours aussi riche d’une profusion de sonorités et détenteur de cette signature reconnaissable entre mille.

Fidèle à une torrentielle créativité dont on se demande comment elle peut se maintenir à un tel rythme, qui plus dans un style ambitieux qui ne pardonne pas la médiocrité, le groupe est déjà de retour avec un douzième effort. Si Tamás Kátai, son inusable chef d’orchestre, le présente comme un disque différent de ses devanciers, l’ombre de "Valak" plane toutefois incontestablement sur "XII: A gyönyörü álmok ezután jönnek", ce dont on ne peut que se réjouir. Il y a d’une part ce même mysticisme bucolique enraciné dans la nature et le folklore hongrois à l’ambiance si particulière (‘Lydiához’) qui les irrigue tandis qu’ils partagent une puissance rêveuse identique (‘Piros kocsi, fekete éj’). "Alföld" a néanmoins laissé quelques traces, identifiables dans ces breaks démentiels et ces growls qui surgissent par moments et viennent rappeler les (lointaines) origines black metal de Thy Catafalque, témoin ce ‘Mindenevö’ d’une ténébreuse emphase.

Pour autant, ce nouvel essai possède une personnalité qui lui est propre. Moins mélancolique que "Valak", moins sombrement brutal que "Alföld", il vibre d’une énergie lumineuse qui emporte tout dans son sillage et rend capable celui qui l’écoute de soulever des montagnes (‘Vakond’), ce qui ne l’exonère cependant pas d’une certaine nostalgie voire d’une tristesse spectrale dont le Hongrois ne se départira jamais vraiment (‘Kodkiraly’). A l’instar de ses aînés, "XII: A gyönyörü álmok ezután jönnek" impressionne par sa sève bourgeonnante au service de laquelle une multitude d’intervenants (pas loin d’une trentaine !) ont été conviés.

Il serait évidemment trop fastidieux de tous les citer mais il convient de louer la chanteuse Martina Veronika Horváth (sur les déjà évoqués ‘ Piros kocsi, fekete éj’ et ‘ Lydiához’), le saxophone qui émaille ‘Nyarfa, Nyrfa’) ou le bouzouki de ‘Vakond’. Violon, clarinette, basse fretless ou trombone se mélangent en une myriade foisonnante de sons et de textures entre metal progressif et musique électronique qu’une large palette vocale (chant masculin ou féminin, growls) propulse dans une autre dimension, une sorte de puissant multivers élégiaque et folklorique qui n’appartient qu’à ce groupe décidément unique.

Groupe qui d’ailleurs n’en est pas vraiment un, puisque jouet autant que laboratoire du seul Tamás Kátai dont le travail et l’habileté à fusionner tous ces éléments sans perdre en cohérence force l’admiration. De cet ensemble d’une luxuriance lumineuse émergent quelques compositions qui hantent longtemps après que l’écoute se soit achevée, aux premiers rangs desquelles s’imposent ‘Vilagnak Vilaga’, tellement dense qu’il semble impossible de le décrire, l’hypnotique ‘A gyönyörü álmok ezután jönnek’ ou le bonus ‘Babylon’, reprise du groupe de rock progressif hongrois Omega, totalement transcendé par un Tamás Kátai touché par la grâce.

D'une grandiose démesure, "XII: A gyönyörü álmok ezután jönnek" porte la marque aussi inimitable qu’indescriptible d'un Thy Catafalque au sommet de son art.