Lorsque Kiko Loureiro a annoncé son départ de Megadeth l’année dernière, les rumeurs allaient bon train sur l’ambiance dans le groupe, sa vie personnelle, son avenir. Puis après avoir maintes fois clarifié que le rythme des tournées n’était plus compatible avec ses prérogatives personnelles et ce à quoi il aspirait, le monde s’est remis à tourner, Kiko a passé du temps à la maison et pour notre plus grand bonheur a composé "Theory of Mind", un album métaphysique, presque ésotérique, allant aux confins de l’esprit humain et de notre inconscient.
Parler de l’esprit d’un album instrumental peut sembler tiré par les cheveux quand aucune parole ne vient soutenir son propos. Seulement, c’est là que le guitariste brésilien fait fort, car pour son sixième album, il parvient avec brio à faire passer un message qui lui tient à cœur. La musique de Kiko Loureiro est un condensé d’énergie brute menée au cordeau, et les expériences progressives chez Angra puis heavy metal avec Megadeth apportent leur lot d’influences qui font de cet album une production unique et particulièrement originale.
L’album défile avec une étonnante facilité, l’artiste étant tellement à l’aise avec les styles qu’il peut mettre n’importe quel genre à la sauce metal sans jamais choquer personne. Certes, le Brésilien n’en est pas à son premier coup d’essai, mais on aurait pu le croire enfermé dans ses styles passés. Ce serait mal le connaître, Kiko Loureiro, en grand mélomane, s’arroge en effet aussi les styles plus contemporains, et les réminiscences djent ('The Other Side of Fear') sont évidentes et prouvent qu’il sait tout jouer.
'Borderliner' explore, comme son nom l’indique, les limites du mental en flirtant sans cesse avec les frontières de l’acceptable, jusqu’à les dépasser puis se rétracter en regrettant amèrement ce débordement. Au fil du morceau, on ressent le tourbillon mental qui parfois nous obsède, comme illustré sur la pochette (non, ce n’est pas un pain aux raisins) et la manière avec laquelle il est vécu. L’introduction plante le décor, alors tenez-vous prêt, Kiko Loureiro vous emmène faire une introspection dans vos intrications mentales inexplorées. Le voyage intérieur proposé ne ressemble à rien de ce qui a été déjà été fait, ce qui est une prouesse en soi, compte tenu de l’offre pléthorique de musique instrumentale.
Si les morceaux s’enchaînent à merveille, il faut néanmoins attendre la sixième piste pour découvrir la pépite absolue de l’album. Il s’agit de 'Point Of No Return', et passer à côté serait une faute lourde, tant le morceau est sublime. Le mot est d’ailleurs vain, Kiko Loureiro nous emmenant au plus profond de son intimité. Non seulement le titre est une prouesse technique de toute beauté, mais l’émotion qu’il recèle est rare. C’est là que l’on distingue le bon du mauvais guitar hero. Certains, tels Yngwie Malmsteen se sont souvent fait tacler à tort ou à raison pour trop en montrer, là on est dans un tout autre registre. Kiko peut jouer très vite, des plans particulièrement complexes, mais c’est toujours à bon escient et au service de l’histoire. Le morceau suivant 'Raveled' ne fait pas pâle figure malgré la difficulté de passer après ce bijou, l'esprit oriental et le solo hispanisant exécuté à l’acoustique font de ce morceau un indispensable de l'ensemble.
'The Barefoot Queen' est probablement le morceau le plus progressif et aurait d’ailleurs pu clôturer l’album de par sa structure épique digne de ce que les grands noms du genre savent faire. Seulement Kiko Loureiro a pris la décision de rajouter un ultime morceau 'Finitude' (dispensable, lui) qui n’est pas mauvais en soi, loin s’en faut. Le phrasé en delay est intéressant, mais son prédécesseur était sans doute plus adapté pour ponctuer cette belle réussite qu’est "Theory of Mind". Le trop est l’ennemi du bien.