Les membres de Kanaan ne restent jamais inoccupés bien longtemps. Après "Downpour" en mai 2023 puis "Diversions Vol. 2 : Enter The Astral Plane" six mois plus tard, ils se sont associés à deux autres musiciens de la scène norvégienne et enfanté en mars dernier le titanesque galop d’essai de Full Earth, "Cloud Sculptors". Et les voilà déjà de retour avec un projet collaboratif qui illustre, outre leur inusable talent, cette liberté artistique, cette curiosité, qui les guident depuis leurs débuts. Ainsi davantage qu’un simple nouvel album, "Langt, Langt Vekk" est avant tout le fruit d’une union avec Ævestaden, un trio lui aussi, qui baguenaude sur la sente d’un folk rock mélancolique. Ses deux offrandes "Ingen Mere Gråter" (2021) et "Solen Var Bättre Där" (2023) sont d’ailleurs fortement recommandées.

Si cet assemblage peut sembler sur le papier plutôt curieux tant le fuzz rock de Kanaan apparaît éloigné de l’inspiration forestière de son partenaire, le résultat se révèle pourtant encore une fois magique, mélange parfait de ces deux identités finalement complémentaires. Chaleureuse, la prise de son offre aux six musiciens le cocon douillet pour s’exprimer, quand bien même la patte triste et bucolique de Ævestaden s’avère de prime abord la plus prégnante, ne serait-ce déjà par l’usage d’instruments folkloriques (harpe, lyre etc.) et par le chant, parfois masculin, le plus souvent féminin, qui confèrent à des pièces telles que ‘Ganglåt Bortåt’, ‘Fiskaren’ ou ‘Farvel’, dont certaines sont issues du répertoire traditionnel norvégien, les allures squelettiques de déambulations boisées et crépusculaires.

Discrète, la marque de Kanaan n’en est pas moins essentielle, inoculant à l’ensemble ce pouls hypnotique qui fait tout le sel de cet album. Avec son toucher assez unique, le guitariste Ask Vatn Strøm surgit de manière pointilliste (‘Habbor Og Signe’, accrocheur et lancinant), Eskild Myrvoll (également bassiste) étire un tapis électronique avec ses synthétiseurs et machines, tandis que le monumental batteur Ingvald André Vassbø, remise sa frappe de mammouth pour une approche plus délicate et soyeuse, démontrant à nouveau toute la richesse de se technique.

Véritables morceaux d’orfèvrerie où chaque détail, chaque arrangement ont soigneusement été pensés, tous les titres mériteraient d’être évoqués, mais il convient néanmoins d’insister plus particulièrement sur l’immense ‘Vallåt Efter C.G. Färje’, où les caresses vocales se conjuguent à une partition pulsative en une progression pleine de soubresauts psychédéliques, qui file jusqu'à un final au bord de la rupture. Une attention doit également être accordée à ‘Dalebu Jonsson’, respiration folk portée à l’unisson par le chant des trois membres de Ævestaden sur le socle feutré tissé par Kanaan.

Pouvant être considéré comme ce que leurs auteurs ont accouché de plus beau et de plus pur, "Langt, Langt Vekk" témoigne que l’union des talents dépasse leur simple addition. On se prend du coup à rêver que cette collaboration n’en reste pas là et que d’autres offrandes voient le jour.