Il y a des albums qui ne se contentent pas de raconter une histoire, mais qui invitent à la vivre, à la ressentir dans chaque note, chaque respiration. "Odyssey" de Kwoon est de ceux-là. Un voyage sonore où la mer est omniprésente, non seulement dans les textures musicales qui s’étendent comme un horizon infini, mais aussi dans cette idée de départ, de disparition, d’attente et d’espoir. C’est un disque qui évoque ces marins d’autrefois, embarqués sans savoir s’ils reviendraient, ces enfants qui regardent l’océan en imaginant des mondes lointains, et ces âmes qui voguent entre passé et présent, portées par le ressac des souvenirs.
Dans la lignée des grands noms du post-rock tels que Mono, Explosions in the Sky ou Sigur Rós, Sandy Lavallart, à l'initiative du projet, construit une musique où l’espace est un instrument à part entière. Dès les premières notes, le son s’étire avec élégance, baigné de réverbes profondes, de guitares aériennes et de nappes atmosphériques qui évoquent l’immensité et la contemplation ('Leviathan'). À l’image de la mer, la musique se veut tantôt apaisée, tantôt déchaînée, avec ces progressions lentes qui semblent voguer au gré du courant, avant de s’amplifier dans des crescendos d’émotion pure.
Mais derrière cette atmosphère envoûtante, "Odyssey" est un album profondément humain, où le post-rock se mêle à la chanson, à la folk et à des touches ambient. Il porte en lui la nostalgie de l’enfance, cette époque où tout semblait encore possible, où l’on pouvait croire que l’océan cachait des royaumes invisibles et que les disparus finissaient par revenir. 'King of Sea' (en duo avec Babet de Dyonisos) incarne à merveille cette double lecture : porté par une structure évolutive typique du post-rock, le morceau débute en douceur avant de prendre de l’ampleur dans un final poignant. La mélodie y flotte, suspendue, jouant avec une réminiscence du "Prélude à la lune", comme si la musique elle-même hésitait entre rêve et réalité.
Puis, au détour d’une note, Kwoon nous ramène vers des contrées plus oniriques et acoustiques. 'Jayne' s’inscrit dans une veine plus épurée, minimaliste, où les accords s’étendent lentement, à la manière d’un Air plus organique conduisant vers du Radiohead. 'Blackstar', avec ses samples flottants et sa mélodie dépouillée, rappelle l’approche contemplative de Pink Floyd, jouant sur la répétition et l’ajout subtil de couches sonores pour construire une tension qui ne se relâche jamais complètement.
C’est pourtant dans son final instrumental que "Odyssée" atteint sa pleine dimension post-rock. 'Nestadio' et 'Keep On Dreaming' s’éloignent du format chanson pour ouvrir une parenthèse libre et introspective, où les textures prennent le pas sur la mélodie, où l’émotion se passe de mots. Les crescendos progressifs et la beauté suspendue des guitares évoquent Mono, créant un sentiment d’errance et de flottement, comme si l’album laissait volontairement l’auditeur tracer son propre sillage.
Tout au long de "Odyssey", Kwoon joue avec les contrastes : la lumière et l’ombre, le départ et l’attente, la réalité et le souvenir. Il y a toujours une lueur d’espoir qui transperce la brume, une sensation d’apesanteur qui allège même les thèmes les plus graves. Un équilibre fragile, où le post-rock cinématographique s’entrelace avec l’intime, où la musique est à la fois un refuge et une échappée. "Odyssey" n’est pas un album qui s’écoute distraitement. Il demande du temps, de l’espace, une forme d’abandon. Il se vit comme une traversée intérieure, un souffle d’air chargé d’embruns et de nostalgie. Un disque qui ne se contente pas d’être entendu, mais qui résonne longtemps après l’avoir quitté.