Il y a des groupes qui avancent contre vents et marées, forgeant une discographie aussi solide que les paysages brumeux de leur Écosse natale. Mogwaï fait partie de ceux-là. Près de trois décennies après ses premiers éclats sonores, le quatuor continue d’écrire la bande-son d’un monde où la lumière lutte contre l’ombre, où la mélancolie se pare d’éclats abrasifs. Avec "The Bad Fire", les Écossais ne cherchent pas à brûler plus fort, mais à prolonger cette incandescence lente qui caractérise leur art. Un feu moins éclatant, plus obscur, où l’ombre des machines semble parfois danser sur les braises. Derrière ce titre énigmatique, il y a une tension sourde, un feu qui ne détruit pas mais qui consume lentement. Là où certains post-rockers privilégient les secousses telluriques, Mogwaï préfère l’infiltration. La musique ne s’impose pas, elle s’insinue. 'God Gets You Back' illustre parfaitement cette approche : une mélodie en apesanteur, des nappes qui s’accumulent, une tension qui s’installe sans jamais déborder. Mais à force d’exploiter cette même mécanique, l’effet de surprise s’émousse.
L’album déroule ainsi son ombre sans jamais chercher à la percer. 'Lion Rumpus' s’ancre dans un rythme hypnotique, presque martial, comme une boucle entêtante qui s’amplifie progressivement sans jamais exploser. Là où Mogwaï jouait autrefois sur la rupture, il privilégie désormais la constance, au risque de rendre certaines montées un peu trop prévisibles. Plus loin, 'Fanzine Made of Flesh' troque l’intensité pour une fragilité presque spectrale, portée par une progression minimaliste qui évoque leurs travaux les plus contemplatifs ("Les Revenants", la série française dont ils ont composé la bande originale, n’est jamais loin).
Mais derrière la patte habituelle de Mogwaï se cache un souffle plus synthétique. Sans renier les guitares granuleuses qui ont fait sa réputation, le groupe tisse ici et là des textures plus électroniques, plus froides. 'Hi Chaos' en est un bon exemple : un morceau où les claviers s’étirent en nappes glaciales, créant une atmosphère spectrale qui s’éloigne du post-rock organique des débuts. Ce n’est pas une révolution, mais une nuance, un léger changement d’angle qui renforce l’impression d’un album plus introspectif et plus figé.
Tout au long de l’album, Mogwaï ne hurle pas, il chuchote à l’oreille du silence, laissant la musique s’épanouir par vagues lentes, sans jamais chercher à s’imposer. Mais cette fois, le murmure semble plus résigné que captivant. L’électronique affleure sans jamais trahir l’essence organique du groupe, les guitares grondent sans jamais s’abandonner au chaos, et cette manière si particulière d’étirer l’émotion jusqu’au point de rupture reste intacte. Mais ce point de rupture, justement, semble toujours hors de portée. Avec "The Bad Fire", Mogwaï nous rappelle qu’un feu ne brûle pas toujours à son paroxysme. Parfois, il suffit de le regarder couver pour en ressentir toute la puissance… mais cette fois, la flamme semble vaciller. Un bel album, qui intrigue par ses nuances synthétiques, mais qui laisse un léger goût d’inachevé.