Saga tient une place de choix parmi les groupes progressifs de ces 30 dernières années, que ce soit dans le coeur des fans voire même dans le panthéon des grands groupes... ne serait-ce que par la grâce de leurs cinq premiers albums studios (mettons à part le live « In Transit ») qui sont exemplaires en matière d'identité sonore comme de la construction d'un style musical personnel, riche, subtil et précieux.
Saga c'est aussi des espoirs déçus par une suite de choix d'orientation musicale pas toujours très judicieux: les années 80 très commerciales et les nineties en forme de repli sur soi: en sport, on appelle ça rester sur ses acquis... Bref, votre serviteur, comme beaucoup d'autres grands amateurs de ce groupe, reste circonspect -pour le moins- devant une carrière en dent de scie, illuminée ponctuellement ça et là par des petits bijoux (« Generation 13 » ou « Security of Illusion ») ou des albums opportunistes (« Behaviour » « Steel Umbrellas »)... mais surtout marquée par une volonté manifeste de ne dorénavant plus prendre de risques avec son public.
La dernière fois que Saga m'avait gentiment stimulé la feuille, ce fut lors de la sortie du live « Detours », album parsemé de morceaux réarrangés pour certains, de versions acoustiques, de longues envolées aux piano, et surtout, plein d'une saine énergie et débordant d'un enthousiasme communicatif. Voici donc (encore?) un live de nos progressifs canadiens: sera t-il à la hauteur du précédent exercice?
Autant le dire sans... hum... détours : c'est un "non"... indulgent... D'accord, ces musiciens ont de la bouteille, de l'expérience, et savent exécuter leurs morceaux de manière irréprochable: la voix de Sadler est toujours un pur bonheur à entendre pour peu que l'on soit amateur de vocalises classico-rock, les guitares du trop sous-estimé Crichton sont toujours aussi aiguisées et pertinentes et la section rythmique est irréprochable si l'on omet les deux/trois breaks un poil ratés du nouveau batteur Brian Doerner... qui reste bien trop dans les pompes de Steve Negus. Côté professionnalisme rien à redire !
Cependant on peut s'interroger sur la validité de la démarche de Saga concernant ce live: revisiter en public leur mythique quatrième album, en l'encadrant des standards habituels du groupe n'est-ce pas capitaliser sur son passé? J'avoue ne pas comprendre l'intérêt que peut susciter la reprise à l'identique de ce qui fut fait en des temps plus jeunes en studio. Le live n'est-il pas l'endroit de l'improvisation, le temps de jouer les funambules, le moment de la réinterprétation savante et éclairée de sa propre musique? Pas ici en tout cas. Saga se contente de fossiliser son style en collant de manière mimétique à ses productions studio.
Alors oui le plaisir de réentendre des classiques comme « Careful where you step » « On the Loose » « Don't be Late » est intact pour le vieux fan que je suis, mais l'insatisfaction s'installe au fil de l'écoute de cet opus tant l'impression que le groupe est en pilote automatique se fait insistante.
Point de débordements: tout est balisé dans le strict respect de la forme originelle de leur musique, et aucune place n'est laissée à la folie ni à la prise de risque. Quant à l'enthousiasme des musiciens, il ne transparaît guère... Est-ce dû au départ imminent de Michael Sadler de la troupe? Mystère...
Que l'on me comprenne bien, cet album n'est pas mauvais et le fan ne sera pas déçu en ce sens que l'album est irréprochable d'un point de vue formel et qu'il se réjouira probablement de réentendre (et voir pour la version DVD) ses morceaux favoris. Reste que l'on peut s'interroger sur l'utilité d'une telle galette en regard d'une discographie déjà riche en enregistrements live et autres « best of » plus ou moins pertinents. A mon sens Saga vaut infiniment mieux que ce rabâchage un tantinet scolaire...