Il arrive parfois, qu’avant même d’avoir posé une oreille sur un album, on pressente que sa découverte va faire mal, laissant des séquelles dont on craint qu’elles soient profondes et difficiles à panser. Tel est le cas de "A Defiant Cure" d’Alta Rossa.
Déjà, il y a le nom du groupe, qui suinte une menace sourde et viscérale. Il y a encore sa pochette qui représente un minotaure au corps noueux, monstre mythologique symbolisant l’Homme rongé par ses pulsions les plus bestiales. Il y a enfin cette citation d’Antonio Gramsci qui résume le propos du disque : "Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres". Si le fondateur du parti communiste italien et théoricien du concept de combat culturel y désignait les crises à la fois politique, économique et sociale qui secouaient les sociétés de l’entre-deux-guerres et dont il n’a cessé d’étudier les mécanismes, cette phrase ne se prête pas moins aux ténèbres dans lesquelles l’humanité semble inexorablement vouloir s’abîmer et qui inspire aux Français une création aussi féroce que désespérée.
Il y a trois ans, "Void Of An Era" avait déjà défriché le potentiel de cette formation composée de musiciens chevronnés issus de la scène hardcore de Besançon (Asidefromaday, Horskh...) mais il ne nous avait pas préparé à un tel uppercut, brutal dans sa noirceur définitive et néanmoins lardé d’escarres aériennes qui loin de le vider de son teigneux carburant le couvre d’une écorce plus doloriste et punitive encore. L’une des grandes forces d'Alta Rossa tient déjà à sa capacité à tout résumer en quatre minutes, rarement davantage. Brut et tendu comme le foc d’un navire, "A Defiant Cure" va donc à l’essentiel, raclant avec une dureté charbonneuse les fonds souillés d’une bauge où les plus vils instincts macèrent.
Robuste et énervée, chaque saillie s’enfonce dans un boyau sinueux qui lui confère une épaisseur sévère et implacable. ‘Exalted Funeral’ est stoppé dans sa course frénétique par une crevasse pulsative, ‘Delusion’ ouvre après une entame déchaînée les vannes d’atmosphères mortifères, ‘The Art Of Tyrant’ est hanté par des mélopées féminines sur un socle percussif aussi envoûtant que menaçant... Dans la lignée des meilleurs Neurosis, Alta Rossa grave un album tout en clair-obscur, grondant dans ses entrailles d’une intensité qu’on devine prête à exploser, accouplant un sludge tour à tour agressif ou plus aérien à un black metal éruptif.
Aux vocalises impétueuses s’opposent des guitares polluées ou massives tandis que la batterie emporte tout par ses rouleaux tentaculaires, à l’image de ‘Stratification’ qui condense à lui seul la démarche du groupe. De courtes exhalaisons ambient et ferrugineuses (‘Dédale’, ‘Where We Drown Our Night’) viennent épandre un suaire sinistre qui tout en reposant l’écoute ajoute pourtant à son climat vicié.
Alta Rossa se nourrit d’une humanité en perdition pour signer avec "A Defiant Cure" un post hardcore tuméfié et cendreux aux allures de dédale organique. Ce faisant, il inscrit son nom parmi les groupes les plus prometteurs du genre.