Formé en 2017 à Poitiers, le trio Remains of Morpheus livre enfin son nouvel album, sobrement éponyme. Ici, tout est instrumental, mais jamais anecdotique. Sans un mot, le groupe bâtit des paysages sonores où chaque note semble raconter un fragment d’histoire. Dans cette fresque immersive aux contours post-progressifs, certains évoqueront les premiers Porcupine Tree, d’autres penseront à Monkey3, mais sans la dimension floydienne qui imprègne souvent les Suisses ou God Is An Astronaut. "Remains of Morpheus" propose un son plus brut, plus dense, qui ne cherche pas tant à planer qu’à construire une narration sensorielle, tendue entre clair-obscur et catharsis.
Parmi les sept titres, 'Olog' incarne parfaitement ce tiraillement. La tension y monte comme une marée noire, la guitare gronde, la batterie impose une cadence rigide, presque martiale. On flirte avec le post-metal, voire le noise, mais toujours avec une forme de retenue maîtrisée. À l’opposé, 'Iron Goat' explore une facette plus mélodique et contemplative. Le riff, bien que massif, laisse de l’espace au souffle et à l’émotion, prouvant que le groupe sait équilibrer puissance et lisibilité. Ces contrastes font toute la richesse de l’album, chaque morceau jouant sa propre partition tout en s’inscrivant dans une vision d’ensemble cohérente.
Le très long 'Scaphandriac' illustre à merveille l’influence post-rock plus éthérée, évoquant par instants God Is An Astronaut. Ce morceau, plus contenu, plus calme, agit comme une respiration au cœur de l’album. De même, 'Joik' et 'Blossom' s’autorisent quelques échappées bruitistes et aériennes où l’écho, le feedback et les textures ambient prennent le relais de l’intensité. On sent ici une volonté de sculpter le son, de faire vivre les silences autant que les assauts saturés. Chaque composition se déploie comme une architecture mouvante, entre tension et relâchement, sans jamais tomber dans l’exercice de style.
La production, rugueuse et organique, épouse parfaitement cette approche : pas de fioriture, pas d’esbroufe, juste de la matière vivante, brute, parfois même volontairement imparfaite. Remains of Morpheus signe ici un disque dense et habité, où chaque titre trouve naturellement sa place. Une œuvre cohérente, à la croisée du post-rock et du progressif, qui prouve que l’instrumental peut encore émouvoir sans jamais ennuyer.