Apparemment furieux des fuites liées au téléchargement Internet, à l'époque de "Symphony for a misanthrope", Trent Gardner avait annoncé qu'il ne ferait plus d'albums de Magellan ! Enfin, pas sous forme de CD… Car Gardner est depuis un moment convaincu que l'avenir de la musique passe par le téléchargement (légal). Il a fondé, il y a déjà trois ans, sa propre compagnie Hip-Solve Media, qui offre des solutions de téléchargement que chaque artiste peut acheter pour mettre sa propre musique en vente en direct, avec toutes les options de protections incluses… un concept assez nouveau qui semble lui réussir.
Et un nouveau album de Magellan a en fait vu le jour dans ce format, il y a déjà plusieurs semaines. Intitulé "Innocent God", celui-ci n'est pour l'instant disponible qu'en téléchargement, ainsi que le taciturne claviériste l'avait promis. Il semble qu'une version en CD soit disponible sur le site de sa compagnie.
Quoi qu'il en soit, "Innocent god" inaugure une nouvelle ère, y compris sur le plan musical. Jusqu'ici, Magellan a souvent revendiqué son héritage issu des années 70, notamment celui dû à des groupes aussi différents que Kansas, ELP, Jethro Tull, Rush et Genesis, mais le tout avec une puissance et un son plus actuels, quelques éléments metal également.
Avec "Innocent God", les frères Gardner se tournent davantage vers le futur et n'hésitent pas à intégrer des éléments de musique électro à leurs orchestrations. Par ailleurs, le côté metal a largement diminué et le groupe se concentre sur des mélodies fortes mais aussi sur des arrangements variés incluant des instruments acoustiques, souvent plus légers. Reste que Magellan n'a pas essayé de concurrencer les ténors de la musique commerciale : quatre de ces sept morceaux dépassent les 6 minutes et un cinquième atteint 9:20. L'album est d'ailleurs relativement court, ainsi que les deux précédents, frôlant les 45 minutes.
Les boîtes à rythme, qu'ils avaient essayé de remplacer (du moins partiellement) par un véritable batteur, sont de retour. En fait, on ne sait pas trop qui fait quoi : Wayne Gardner est crédité en tant que "consultant de production largement surpayé" et le vétéran Robert Berry pour une "longue liste d'instruments familiers"… D'ici à penser que l'album est entièrement interprété" par Trent Gardner et Berry (qui sait jouer aussi bien des claviers que de la guitare, de la basse et de la batterie !), il n'y a pas loin... Mystère. Les claviers, n'ont jamais été aussi présents et les textures sont plus modernes. On entend aussi pas mal de boucles rythmiques.
Les deux premiers titres frappent très fort avec un mélange de neuf et d'ancien, si l'on peut dire. On retrouve le goût du groupe pour les mélodies majestueuses, plus nettement développé dans les trois derniers albums mais avec des arrangements assez contrastés : orgue Hammond très réaliste, sonorités de synthés plus froides, des rythmes électro, des guitares électriques et acoustiques, guitares toujours heavy à l'occasion mais moins qu'il fut un temps. Et les mélodies vocales sont souvent très accrocheuses. Trent a utilisé davantage son timbre naturel, plutôt médium et très suave, aisément reconnaissable, avec peu d'effets, sauf qu'il n'a pas hésité à se réenregistrer plusieurs fois afin d'obtenir des effets de chœurs. Le claviériste est devenu un vocaliste attachant et sensible, que l'on retrouve avec plaisir dans son côté le plus intimiste et pas seulement dans ses aspects "mur du son vocal". Il nous gratifie aussi de quelques soli bien que notre homme ne se considère pas comme un virtuose.
Allez, décrivons quelques morceaux : "Innocent god", par exemple, possède un beat électronique et un riff électrique irrésistibles, dominés par des parties vocales grandioses, qui sont finalement interrompues par une section plus acoustique où l'on entend des chœurs que l'on dirait venus d'Afrique, et enfin une dernière partie synthétique et planante, avec le même genre de vocaux ici et là. Le côté africain se retrouve au sein du morceau suivant, "Found" qui démarre par des percussions ethniques mêlées à des synthés froids et symphoniques. Pourtant, la partie chantée par Trent est typique du meilleur Magellan : majestueuse et épique en diable !
"Who to believe" est une très belle ballade arrangé pour piano et synthés orchestraux. "Sea of details" est un instrumental qui sonne vaguement comme Genesis vers 1983 ("Home by the sea", "Mama"), en plus épique et plus moderne. Assez inhabituel aussi est le morceau final "slow burn", qui n'a rien à voir avec le morceau du premier album solo de Peter Gabriel, si ce n'est un côté ouvertement plus direct, avec guitares rock et orgue Hammond sur un fond rythmique qui balance.
Tout en conservant la personnalité de Magellan, "Innocent god" est à la fois rock, progressif et accessible, probablement un peu plus que la plupart des albums précédents du groupe. J'ai peur néanmoins que ce ne soit pas suffisant pour leur apporter une once d'intérêt de la presse musicale, vu la tonalité mineure et le côté épique toujours mis à l'honneur dans des morceaux encore bien longs et sophistiqués, comparé à ce qui est aujourd'hui "commercial".