Il y a des albums qui documentent un moment, et d'autres qui condensent une vie. "Musical Objects", le nouveau projet de Marco Galletti, appartient résolument à la seconde catégorie. À travers cette œuvre immersive, patiemment façonnée dans le silence d’un studio à la frontière de deux pays, le compositeur italien déroule plus de quarante ans de création musicale, comme on déplie une fresque secrète restée trop longtemps enroulée.
Ancien membre du groupe progressif Arcansiel, Marco Galletti n’a jamais vraiment quitté le sillage des grandes figures du rock symphonique et de la musique romantique. Il cite volontiers Bach, Beethoven, Schubert ou Genesis (pré-1975), mais aussi Pink Floyd, Otis Redding, Steven Wilson ou Chopin. Ces références, loin d’être anecdotiques, nourrissent en profondeur un album qui semble vivre dans les marges entre les genres : néo-classique, ambient progressif, electro organique, parfois teinté de jazz ou de pop baroque. Un kaléidoscope exigeant, mais étonnamment cohérent.
Le choix de revenir sur ces “objets musicaux”, enregistrés sur plus de quatre décennies, n’est pas une simple opération de recyclage : c’est une relecture créative assumée, où chaque idée originelle est recontextualisée dans une architecture sonore pensée dès l’origine pour l’immersion. Car c’est là que réside l’un des cœurs battants de "Musical Objects" : la spatialisation du son comme vecteur d’émotion. Produit nativement en Dolby Atmos 7.1.4, puis “downmixé” pour les plateformes, l’album explore une nouvelle dimension d’écoute, sans jamais sacrifier l’intention musicale à la démonstration technologique. Sur 'All Goes By', par exemple, les sons tournent autour de l’auditeur, créant une sensation d’instabilité presque vertigineuse. À l’inverse, 'La Primavera' ou 'La Lune Est Née' misent sur une simplicité faussement naïve, utilisant uniquement des outils électroniques pour produire des morceaux basés sur une fraîcheur mélodique presque pastorale.
À la croisée des styles, "Musical Objects" est aussi un album de contrastes : entre la délicatesse du piano – instrument central et émotionnel, souvent premier déclencheur des idées – et la rare mais marquante utilisation d’instruments analogiques comme la Stratocaster ou la Jazz Bass, qui apportent ici ou là une chaleur organique bien sentie ('As the Silence'). L’album s’ouvre avec 'L'Aria Chiara Come Non Esiste Più', touchante méditation sur les derniers souvenirs des êtres chers, portée par un quatuor à cordes en suspension, des pizzicati aériens et une métrique impaire subtilement dosée. Ce morceau à lui seul incarne cette volonté de fusionner le langage du classique, la liberté du rock progressif et les textures électroniques, dans une forme de narration musicale fluide, en constante mutation. Et si '386', relecture d’un morceau écrit en 1986, résume à lui seul le projet – entre restauration sonore et transfiguration émotionnelle – c’est sans doute 'Raining' qui en incarne le mieux la tension cinématographique, grâce à un jeu habile de modes, de basses profondes et de couches harmoniques saturées d’émotion.
Chanté en italien, anglais ou français, "Musical Objects" navigue aussi entre les langues comme il glisse entre les styles, sans jamais forcer le trait. Le chant, modeste et sincère, n’est jamais démonstratif ; il accompagne la musique plus qu’il ne la surplombe, comme un fil (un peu fragile) de pensée posé sur le flux harmonique.
Avec ce disque, Marco Galletti ne cherche pas à révolutionner la musique électronique dans son aspect technique, ni à revendiquer une quelconque appartenance à une scène. Il trace un chemin personnel, artisanal, où chaque note, chaque son, chaque placement dans l’espace participe d’une quête de vérité sonore. On y sent à la fois l’exigence du technicien, la curiosité du chercheur, et l’émotion du mélodiste. Plus qu’un retour, "Musical Objects" est une prise de parole : celle d’un musicien qui, enfin libre du temps et des contraintes, choisit de réconcilier toutes ses vies musicales en une seule œuvre. Un album à la fois point d’orgue et nouveau départ, qui donne envie d’écouter.