PATRICK RONDAT: Escape From Shadows (GUITAR HERO) : avis / chronique à lire sur Music Waves

Il en parle depuis des années de ce nouvel album. Le deuil, le doute, la vie qui passe, les priorités qui changent, l’impression d’avoir déjà tout dit musicalement ont reporté l’échéance tellement de fois que ses fans n’y croyaient presque plus. Alors quand Patrick Rondat a annoncé la sortie officielle de “Escape From Shadows”, 21 ans après "An Ephemeral World", la communauté des guitaristes français a vacillé, gagnée par l’excitation, l’impatience et l’émotion. Car oui, c’est bien d’émotion qu’il s’agit. L’émotion de retrouver le maître de l’aller-retour, le disciple d’Al Di Meola, le musicien qui a ouvert la voie à tant d’autres en France, en prouvant qu’il était possible d’enregistrer des albums de guitare instrumentale sans forcément copier les Américains. Et surtout, l’émotion de retrouver un vieux pote que l’on n’a jamais vraiment perdu de vue et avec qui nous avons encore tant de choses à partager.

Cette émotion traverse tout l’album dont chaque titre nous rappelle à quel point, malgré ses collaborations fréquentes avec d’autres artistes, Patrick Rondat nous a manqué en solo pendant toutes ces années. Son phrasé, son toucher, son sens de la mélodie, sa faculté à composer une musique complexe dans sa structure et limpide dans son exécution… rien n’a vraiment changé, et pourtant tout semble nouveau, comme si “Escape From Shadows” était l’album que nous attendions sans en être vraiment conscients. Le style Rondat n’a pas pris une ride, et la maturité aidant, il s’est bonifié pour se concentrer sur l’essentiel : de superbes mélodies au service d’une musique qui n’a jamais été autant influencée par le rock progressif (les claviers de ‘Invisible Wars’) et par le metal progressif (‘Fear And Guilt’, ‘Escape From Shadows’, ‘From Nowhere’).

En pleine possession de ses moyens, le guitariste nous transporte dès les premières notes du symphonique ‘Overture’ pour ne plus nous lâcher. Il nous emporte dans un voyage musical à son image : chaleureux, humble, quelques fois taquin (les clins d’œil à Satriani sur l’excellent ‘Whispery Hopes’), et parfois réellement surprenant, à l’instar du seul titre chanté de l’album, ‘Now We’re Home’, traversé là encore par l’émotion que sait nous procurer la voix blues rock de Gaëlle Buswel. Et même si "Escape From Shadows" est globalement moins technique que "An Ephemeral World" et s’inscrit plus dans la lignée d’"Amphibia", c’est pourtant sur une véritable prouesse guitaristique que Patrick Rondat clôt l’album, avec une interprétation toute personnelle de la pièce classique ‘Kreisler – Prelude And Allegro’, bien plus tendue que la version qu’il avait enregistrée avec Hervé N’Kaoua, et sur laquelle il brille par son expressivité et sa virtuosité.

“Escape From Shadows” est un album en tout point remarquable, par sa conception, son côté progressif assumé, son ambiance cinématographique et son obsession tellement légitime de mettre la technique au service de la musique. A l’heure où les réseaux sociaux sont envahis par des apprentis shredders qui confondent trop souvent vitesse et précipitation, Patrick Rondat montre qu’un guitariste doit avant tout être un musicien et que c’est la seule condition pour durer. Personne ne sait si cet album marquera la fin d’une carrière, ni même celle d’une époque, mais dans tous les cas, il faudra le garder précieusement dans sa discothèque, car il est l’hommage poignant d’un très grand artiste à la guitare comme moyen d’expression d’une personnalité unique.

PATRICK RONDAT

ESCAPE FROM SHADOWS

VERYCORDS

GUITAR HERO