La tension, justement, est la matière première de cet album. Dès les premières minutes, le groupe norvégien installe un climat anxiogène, comme une cage qui se referme lentement. Tout semble calculé pour maintenir l’auditeur dans une forme d’inconfort magnifique. On avance à tâtons, entre introspections acoustiques et riffs abrasifs, sans savoir ce qui nous attend à la mesure suivante. Mais ce déséquilibre constant, loin d’être chaotique, est orchestré avec une précision impressionnante.

L’écriture se veut sinueuse, traversée de motifs récurrents, de respirations tendues, de montées en tension émotionnelle. Le chant, souvent à fleur de peau, sait aussi se faire plus rageur, presque contenu dans sa douleur. Et les instruments suivent : les guitares tracent, les claviers planent, la basse gronde. Certains morceaux servent de véritables pivots émotionnels. 'Families are Forever' déploie un solo de guitare saisissant, à la fois majestueux et bouleversant, comme un cri qu’on aurait contenu trop longtemps. Plus loin, 'Conflating Memories' surprend par un solo de clavier d’une clarté limpide, presque héroïque, qui surgit dans une ambiance pourtant plombée - suivi d’un solo de guitare plus introspectif, comme pour en adoucir l’écho. Une flûte, discrète mais poignante, s’invite aussi brièvement, comme une respiration fragile dans une spirale mentale en perdition.

L’apparition de Ross Jennings (Haken) sur 'The Malevolent' agit comme un choc. Sa voix, tendue et vulnérable, ne vient pas orner l’album : elle le fracture, accentuant l’âpreté du propos et élargissant encore le spectre émotionnel du groupe. Derrière la noirceur des arrangements, c’est tout un champ lexical du mal-être, de la perte et de la solitude qui affleure - des thèmes abordés de manière frontale mais jamais gratuite, avec une sincérité déconcertante.

Ce qui frappe, au-delà de l’intensité, c’est l’intelligence de la construction. Rien n’est laissé au hasard. Chaque enchaînement, chaque rupture, chaque silence a un rôle à jouer. Et lorsque le titre final, 'Waving at the Sky', s’étire dans un dernier souffle de plus de douze minutes, entre clair-obscur acoustique et sursauts électriques, c’est toute l’architecture du disque qui trouve son aboutissement. Ce morceau, long et organique, semble traverser plusieurs états émotionnels, entre résignation et acceptation. Une fermeture suspendue, sans éclat mais avec une puissance sourde.