On pensait avoir cerné YUNGBLUD. Une gueule, un slogan, une énergie électrique qui bouscule les playlists pop-punk depuis ses débuts. Mais "Idols" sonne comme une gifle à quiconque espérait le voir répéter la même formule. Ici, Dominic Harrison se débarrasse du décor pour construire un disque plus vaste, plus ambitieux, où l’urgence brute flirte avec l’ampleur orchestrale. On ne picore pas "Idols" : on le traverse, parfois à contresens, souvent avec cette impression qu’un refrain trop facile serait presque une trahison.
Tout démarre sur 'Hello Heaven, Hello', longue rampe de lancement de neuf minutes, qui ose l’intro cinématographique. Des nappes de cordes, une batterie qui respire, une guitare qu’on laisse traîner comme un fil de tension. YUNGBLUD y plante ses premières failles : une voix plus fragile que braillée, un souffle qui hésite, et déjà cette idée de spectacle qu’on ne sait jamais trop où situer - confession, requiem, provocation ? L’album prend ses aises, refuse de céder à l’évidence.
Plus loin, "Idols" se gorge de couleurs. 'Lovesick Lullaby' réveille une britpop (Oasis…) maquillée au khôl noir, entre hymne de stade et pogo de club miteux. Les guitares claquent, la basse rampe, la batterie explose par moments comme un pétard qu’on oublie d’éteindre. À l’inverse, 'Zombie' renvoie tout le monde face au silence : un titre apparemment porté depuis cinq ans, où la peur d’être un poids pour l’autre devient presque palpable dans le moindre accord étouffé. YUNGBLUD troque le cri pour le murmure, avant de relancer la machine sur 'Change', où cuivres et cordes dialoguent avec des riffs qui se retiennent de saturer trop tôt.
On devine vite que Harrison a taillé "Idols" comme un disque d’instantanés : chaque morceau explore un recoin de sa propre mythologie, avec un habillage sonore qui bouscule ses habitudes. Il multiplie les couches, ose des orchestrations qu’on n’attendait pas, plaque parfois une fanfare rock sur une ligne de basse sale, superpose des chœurs à des solos de guitare baveux. Sur 'Ghosts', sa voix s’étire, frôle la cassure, portée par un tambour militaire comme un cœur qui bat trop fort rappelant le U2 des débuts avec des éléments orientaux. 'Fire', lui, laisse tout déborder : tension sexuelle à la The Doors, larsens, un groove presque animal, comme si le disque se rappelait qu’il est aussi fait pour transpirer.
On pourra dire que "Idols" est trop long, qu’il se perd dans ses ambitions, qu’il manque parfois de retenue. Mais c’est précisément là qu’il trouve sa vérité : refuser le morceau formaté, préférer le choc de la collision entre un piano désossé et un riff crasseux, un couplet fragile et une envolée de cordes. Quand résonne 'Supermoon', dernière note laissée comme un mot griffonné à la hâte, on comprend que tout ça n’est qu’un prétexte à s’exposer sans décor. Le monstre de foire punk a laissé tomber le masque : reste une idole cabossée qu’on regarde sans filtre, et qui nous rend notre propre reflet.