Après "Office Politics" en 2019 et la compilation "Charmed Life", Neil Hannon signe avec "Rainy Sunday Afternoon" un treizième album raffiné de The Divine Comedy, élégant jusqu’au bout des notes, empreint de cette patine très british qui n’appartient qu’à lui. On y retrouve un mélange délicat de mélancolie, de détachement ironique et de ce spleen subtil qui donne à ses chansons une saveur intemporelle. L’enregistrement à Abbey Road n’est pas un simple symbole : c’était un rêve à cocher, et l’acoustique légendaire du lieu amplifie cette impression de musique ciselée pour traverser les époques.
'Achilles' installe d’emblée une atmosphère profonde, presque cinématographique. Cordes et piano y tissent un écrin feutré dans lequel la voix de Hannon, à la fois posée et légèrement voilée, déroule un texte où se croisent mythe antique, poésie du début du XXe siècle et introspection contemporaine. Chaque note semble déposée avec soin, laissant de l’espace au silence pour respirer entre les phrases, comme si la musique elle-même prenait le temps de réfléchir. Écrite il y a dix ans, cette chanson a voyagé d’album en album avant de trouver ici sa juste place, comme si elle attendait ce décor sonore précis pour se révéler pleinement.
Le reste du disque prolonge cette attention portée aux détails. Piano et guitare acoustique forment la charpente, mais jamais seuls : une clarinette en arrière-plan, un trait de cordes discrètement doublé, une ligne de basse souple qui caresse la mélodie… Ces ajouts discrets donnent à chaque titre une dimension supplémentaire. Fidèle à son habitude, Hannon a produit et arrangé l’album lui-même, conservant ce contrôle artisanal qui garantit que chaque nuance correspond exactement à ce qu’il a imaginé.
'I Want You' illustre parfaitement ce savoir-faire : le texte, intime et direct, est porté par une orchestration ample qui l’ouvre sur un horizon plus large. On pense à un tableau néoclassique où un détail banal - un geste, un regard - est magnifié par la lumière et la composition. Cette tension entre l’intime et le grandiose se retrouve dans 'Down The Rabbit Hole' et 'The Heart Is A Lonely Hunter', où l’onirisme et l’absurde s’invitent pour rappeler que The Divine Comedy n’a jamais voulu se contenter d’un seul registre émotionnel.
Les titres 'All The Pretty Lights', 'Can’t Let Go' et 'Invisible Thread' distillent une douce amertume. Ici, la voix se fait plus fragile, presque murmurée, Hannon s’adressant directement à l’auditeur. Les arrangements orchestraux ne cherchent pas à emplir l’espace, mais à l’encadrer, laissant la mélodie respirer. Avec sa production ciselée et son écriture élégante, "Rainy Sunday Afternoon" évoque par instants le lyrisme sombre de Scott Walker, la délicatesse acoustique d’un Nick Drake ou l’ironie feutrée de Jarvis Cocker, tout en conservant cette patine unique qui définit The Divine Comedy.
"Rainy Sunday Afternoon" est un disque qui prend son temps et invite l’auditeur à faire de même. Chaque morceau agit comme une pièce d’orfèvrerie, poli et assemblé avec un sens aigu du rythme interne. Dans un monde saturé de formats rapides et de playlists, Neil Hannon continue d’écrire et de composer comme s’il avait tout le temps devant lui. Ce n’est pas une rupture, ni une parenthèse, mais un nouvel acte dans l’histoire de The Divine Comedy, un acte raffiné, mélancolique et d’une élégance rare, que l’on savoure mieux encore sur vinyle, comme un thé bien chaud observé depuis une fenêtre embuée, un dimanche après-midi pluvieux.