Il y a des retours qui tiennent du miracle. Plus de trois décennies après une démo qui avait laissé entrevoir un potentiel trop tôt interrompu, Enter ressurgit des limbes du rock progressif italien avec "Awakening the Past". Un album-concept façonné comme une fresque antique, où chaque morceau explore un mythe ou un site mystérieux - d’Orphée à Göbekli Tepe - en convoquant autant l’imaginaire des années 1970 que les outils de création du XXIᵉ siècle. Ce n’est pas une simple réunion nostalgique : c’est un pont jeté entre deux époques, avec la même formation d’origine épaulée par des invités venus du monde entier.
Dès 'Orpheus and Eurydice', le décor est planté : dialogue entre voix masculine et féminine, tension dramatique presque opératique, orchestrations amples et rythmiques mouvantes. On y retrouve l’ADN du rock progressif méditerranéen, celui de Le Orme ou Banco del Mutuo Soccorso, avec ce lyrisme typique qui embrasse la narration autant que la musique. Mais Enter n’en reste pas là : la structure du morceau, ses changements de ton, ses envolées instrumentales trahissent aussi une écriture plus anglo-saxonne, qui pourrait rappeler Magellan ou Kansas, et qui s’affirme encore davantage dans 'The Age of Colossus'.
Chaque titre fonctionne comme une pièce autonome tout en nourrissant l’ensemble. 'Excalibur', pivot stylistique de l’album, alterne piano jazz, tension orchestrale et guitares tranchantes, démontrant la capacité du groupe à fusionner ses influences. La section rythmique formée par Marco Melloni, Franco Avalli et Marco Ferranti agit comme un véritable moteur narratif : solide mais jamais figée, elle épouse les variations de climat avec un sens presque cinématographique. Et lorsque les guitares invitées - de Scott T. Jones, Diego Belluschi à Fabio Troiani - se mêlent au récit, elles ajoutent autant de nuances que de relief, sans jamais rompre l’unité sonore.
Si la base reste organique, l’utilisation d’une Virtual Orchestra apporte une dimension supplémentaire. Loin d’un simple vernis, elle participe à l’architecture même des morceaux, donnant l’impression que les légendes convoquées se déploient sur scène. Cette ampleur est renforcée par une production claire, qui évite la saturation tout en conservant la chaleur old school. Même l’enregistrement à distance des voix - Vivien Searcy en Suède, Jimmy Keegan (Pattern‑Seeking Animals) à Los Angeles - trouve sa cohérence dans le mix final, preuve que le concept a été pensé comme un tout.
La dernière partie du disque ('Moai', 'Göbekli Tepe') se fait plus contemplative, presque sacrée, comme si après avoir traversé la dramaturgie et l’épique, il fallait laisser les images résonner en silence. Le voyage se termine sur une impression de cycle bouclé, mais ouvert sur l’avenir. Car "Awakening the Past" n’est pas seulement un hommage à un âge d’or du prog : c’est la preuve qu’il est encore possible, en 2025, de conjuguer grandeur, cohésion et imagination sans se perdre dans la nostalgie.
En refermant ce disque, on ne peut s’empêcher de penser que le passé n’est jamais vraiment endormi - il attend simplement le moment où quelques passionnés décident de le réveiller. Enter l’a fait, et le résultat est à la fois intemporel et profondément actuel. Les amateurs de PFM comme les curieux de Magellan y trouveront un terrain d’entente : celui où la musique raconte, surprend et emporte.