Depuis plus de quinze ans, Mariusz Duda trace avec Lunatic Soul une route parallèle à celle de Riverside, plus intérieure, plus métaphysique. Ce projet, né dans l’ombre du deuil et de la reconstruction, lui a permis d’explorer tout ce que son groupe ne pouvait contenir : la fragilité, l’abandon, la peur de disparaître, mais aussi la résilience. "The World Under Unsun" s’inscrit comme une synthèse de ce voyage - un disque où chaque son résonne comme un fragment de mémoire. C’est à la fois une rétrospective et une renaissance : un double album monumental qui condense la tension entre l’homme et la machine, entre l’instinct et la pensée.

Là où "Through Shaded Woods" plongeait dans la terre et le souffle, "The World Under Unsun" regarde vers le ciel et les néons. L’organique y cède la place à l’électro, sans jamais perdre de chaleur. Mariusz Duda compose ici comme un architecte sonore : il superpose les textures synthétiques, les battements sourds et les respirations, dessinant un univers presque cinématique. 'Loop of Fate' en donne le ton : une transe magnétique où la basse pulse comme un cœur tandis que les nappes électroniques ouvrent des panoramas d’une beauté glacée. Tout au long du disque, la structure est pensée comme une suite de mouvements - certains d’une intensité brute, d’autres d’une lenteur méditative  - qui traduisent la complexité de l’âme qu’il s’efforce depuis toujours de cartographier.

Mais derrière cette modernité assumée, Mariusz Duda conserve ce qui fait la singularité de Lunatic Soul : une humanité viscérale. Ses chansons semblent naître d’un murmure intérieur, d’une voix qui cherche la lumière à travers les machines ('The Prophecy'). Dans 'Good Memories Don’t Want to Die', il touche à une forme d’épure bouleversante : guitare acoustique, ambiance presque médiévale, voix nue, basse expressive. Un peu plus loin, 'Confession' incarne cette même fragilité dans un écrin minimaliste ; la chanson semble suspendue entre la prière et la confidence, révélant une émotion pure qui rappelle que, derrière la sophistication du son, il y a un homme seul face à ses fantômes.

À l’inverse, Mariusz Duda n’oublie pas la force. 'Monsters' surgit comme un déferlement : un morceau massif, “gras” et vibrant, où la basse gronde avec une intensité presque animale. Ce contraste entre la douceur des ballades ('The New End' et 'Torn In Two' piano - voix),  et la rudesse des pièces plus tendues ('Mind Obscured, Heart Eclipsed', 'Hands Made Of Lead' avec son passage au sax glaçant et ses belles percussions) forme la respiration du disque. C’est dans cette alternance que "The World Under Unsun" trouve sa cohérence : chaque morceau répond à un autre, chaque tension appelle une accalmie. Le tout se déroule avec une fluidité étonnante pour un album aussi long ; jamais la durée ne pèse, tant la narration sonore garde le fil.

Au-delà de sa richesse musicale, "The World Under Unsun" apparaît comme une œuvre charnière dans la trajectoire de Mariusz Duda. En embrassant la modernité électronique sans renier sa sensibilité mélodique, il réunit toutes les facettes de Lunatic Soul - le mysticisme des débuts, la mélancolie de "Walking on a Flashlight Beam", la clarté rythmique de "Fractured", et l’organicité de "Through Shaded Woods". Ce huitième chapitre, parfois plus brut mais paradoxalement plus apaisé, semble conclure un cycle. Il confirme surtout que Mariusz Duda, loin de se répéter, continue de creuser le lien fragile entre technologie et émotion ('Parallels'), entre solitude et transcendance.

"The World Under Unsun" n’est pas seulement un album : c’est un miroir. Celui d’un artiste qui, après avoir exploré les forêts de son inconscient, contemple désormais le reflet d’un monde intérieur reconstruit. Une œuvre dense, mouvante et sincère, où chaque note dit la beauté de continuer malgré tout.