Après 20 ans d’absence en solo, Vernon Reid apporte un vent de fraîcheur dans le paysage musical actuel parfois aseptisé et fait voler en éclat toute tentative de débat sur le genre qu’il arbore. Déjà chez Living Colour, Vernon Reid cassait les codes, et essayer de le faire entrer dans une case ou de lui affubler un genre musical est plus que jamais de l’ordre de la prouesse.
Dire que Vernon Reid est un musicien éclectique est un euphémisme, le guitariste ne dissimulant jamais ses influences rock, jazz, funk, classiques, hip hop, soul, voire ethniques. La musique qu’il joue est avant tout celle qu'il aime et il se moque bien d’être catalogué ou de rassurer son auditeur. Les fans de Frank Zappa ou de Steve Vai savaient qu’ils allaient être bousculés à chaque nouvel album. Vernon Reid est du même cru. Talentueux, créatif et complètement imprévisible. Certes on reconnaît son toucher unique, mais on ne sait jamais où il va nous emmener.
"Ceux qui n’ont pas l’esprit libre ont des pensées toujours confuses", disait Anton Tchekhov, et c’est toute l’ironie de Vernon Reid : sa musique a l’air confuse et anarchique alors qu’elle traduit au contraire sa grande liberté d’esprit.
‘Door of no return’ qui ouvre le bal plante le décor sans préambule et rappelle que Vernon Reid est un guitar hero, justement plébiscité à l’époque de Living Colour. ‘Bronx Paradox’ est toutefois le morceau qui sort sans doute le plus du lot pour son savant mélange de riffs et solos de guitare, de cuivres jazz-funk, de scratches de DJ et d’orgues Hammond. En outre, le morceau est un hommage au Bronx, quartier de New York souvent considéré comme un coupe-gorge peuplé de jeunes désœuvrés, mais qui sera à jamais le berceau du hip-hop, un style original qui a révolutionné le monde contemporain.
Petite mise en garde sur ‘Meditation on the last time I saw art’. Le morceau n’est pas pour tout le monde. Il a l’air d’une répétition entres potes où chacun joue sa partie à fond sans écouter personne. Cet apparent chaos est en fait organisé, même si ça n’est pas évident à la première écoute.
L’enchaînement avec ‘My Little Zulu Babe’ est lunaire tant l’écart country avec son prédécesseur est vertigineux. Si vous écoutez l’album sur une plateforme de streaming et que vous vous demandez si vous n’avez pas basculé sur un autre artiste, c’est normal. Bienvenue dans l’univers de Vernon Reid. Cette impression risque d’ailleurs d’arriver plusieurs fois.
En ces temps politiquement pathétiques, un clin d’œil à ‘Politician’ est de circonstance. Il s’agit d’une reprise d’un morceau de Cream datant des années 1960 critiquant les politiciens, plus préoccupés par leur carrière que par le pays qu’ils sont supposés servir. Le morceau a beau avoir plus de 50 ans, il est (hélas) tellement actuel, que Vernon Reid ne pouvait pas passer à côté de la satire. Écrire une nième critique des politiques aurait certainement eu des relents de déjà-vu, reprendre Cream est bien plus subtil.
Vous l’avez compris, "Hoodoo Telemetry" est un melting-pot multi-genre de ce qui anime Vernon Reid, et vu la richesse de son univers, on peut comprendre les décennies qu’il lui a fallu pour rendre le tout intelligible au commun des mortels. Ne cherchez pas un fil directeur, il n’y en a pas, sur "Hoodoo Telemetry", on est sans filet, en free style, mais l’esprit libre.