Depuis leurs débuts, Grandma’s Ashes a toujours fait de la tension une matière vivante. Ce trio féminin, né dans la scène alternative parisienne, s’est imposé par un équilibre rare entre puissance instrumentale et intensité émotionnelle. Avec "Laïla" puis "This Too Shall Pass", elles avaient façonné un univers à la fois mystique et introspectif, où la douleur se transformait en poésie sonore. Mais ce deuxième album sous label Verycords agit comme une mue : "Bruxism" serre les poings, grince des dents et canalise la colère en une force neuve. C’est un disque de nerfs et de chair, qui réconcilie le corps et l’esprit dans un même mouvement.
Là où "This Too Shall Pass" se nourrissait d’introspection et de confinement, "Bruxism" regarde droit vers l’extérieur, avec une urgence nouvelle. Ce second album respire la tension et l’instinct. Trois ans après avoir installé leur univers entre fragilité et puissance, Myriam El Moumni, Eva Hägen et Edith Séguier reviennent avec un disque plus direct, plus dense, où le lâcher-prise devient moteur.
Dès ‘Saints Kiss’, le ton est donné : riffs tranchants, basse grondante, batterie martiale, et une voix qui s’affranchit de toute retenue. Le trio assume désormais une intensité presque physique, où chaque note semble grincer sous la pression. Mais derrière cette rugosité persiste une émotion à fleur de peau. Grandma’s Ashes ne cède jamais à la démonstration : les tensions s’y expriment avec mesure, la colère se fait élégante, et la mélancolie s’y insinue par contraste.
L’enregistrement, confié à Jesse Gander, met en lumière ce nouvel équilibre : des prises vivantes, des imperfections assumées, une production qui privilégie l’instinct au polissage. Sur ‘Cold Sun Again’ ou ‘Sufferer’, on retrouve cette alchimie rare entre force et fragilité, tandis que ‘Flesh Cage’ et ‘Dormant’ poussent la mutation plus loin encore, ancrant le groupe dans une scène metal qu’il aborde avec personnalité plutôt qu’imitation.
Chaque morceau explore une nuance différente de la tension : le vacillement, la peur, la résistance. ‘Calix’ ose une sensualité trouble, presque pop dans son atmosphère, quand ‘Neutral Life Neutral Death’ s’impose comme une déflagration émotionnelle. L’ensemble dégage une cohésion remarquable : une montée constante, comme si tout l’album n’était qu’un même souffle contenu, prêt à exploser. 'Dormant' referme le disque dans un mélange de douleur et de libération, où chant clair et growl se confrontent dans un ultime duel. Ce final scelle la transformation du trio, désormais ancré dans une identité affirmée : celle d’un groupe capable de concilier rage et pudeur, densité et clarté, bruit et beauté.
Avec "Bruxism", Grandma’s Ashes franchit un cap majeur. Le trio livre un album d’une intensité rare, façonné par la cohésion, la maîtrise et l’instinct. Un disque cathartique et vibrant, à la hauteur des promesses de "This Too Shall Pass" - et bien au-delà. Mais surtout, "Bruxism" confirme que Grandma’s Ashes appartient désormais à cette génération d’artistes qui refusent les frontières entre émotion et puissance. Là où d’autres se contentent de rejouer les codes, elles transforment la tension en langage universel. Entre la clarté d’un riff et l’ombre d’un murmure, leur musique continue de chercher ce point d’équilibre fragile où tout vacille - et c’est précisément là qu’elle touche le plus juste.