Le néo-progressif est-il consensuel ? Rien de tel qu'une bonne polémique pour accrocher le lecteur en début de chronique... Prenons un exemple : le dernier album de Jonas Lindberg & the Other Side, projet lancé par le bassiste suédois qui au cours de ses productions s’est progressivement (c’est le cas de le dire) mué en multi-instrumentiste : dans “Time Frames”, il tient les claviers, le lead vocal, la basse et partage les guitares entre autres avec son frère Joel.
Le style ? Un néo-progressif assumé, basé comme il se doit sur les mélodies facilement assimilables posées sur des claviers soft en nappes et complétées par des passages instrumentaux alternant synthés et guitares. Les morceaux, de belle longueur (aucun titre de moins de 5’40) sont souvent entamés par des intros planantes (‘End Of the Road’, ‘Faces of Stone’, ‘The Wind’) parfois superflues (‘Galactic Velvet’). Le tout est très bien réalisé et pas effarouchant pour deux sous, l’écoute de l’ensemble restant immédiatement accessible. C’est effectivement progressif, les thèmes sont suffisamment variés et bien enchaînés pour appâter l’auditeur qui perçoit des influence multiples (Cosmograf, Kansas pour le violon, Knight Area pour le côté symphonique, Camel dans l'instrumental ‘Gruvan‘...).
Alors, où est le problème ? C’est que le style, qui a été longuement parcouru en tous sens depuis une quarantaine d’années, est très balisé, usant de procédés connus. En conséquence, il est difficile de surprendre l’auditeur en restant trop sage. “Time Frames”, très lisse, souffre de ce manque d’aspérités, de coups de canif dans le canevas qui apportent des épices dans un plat pas assez relevé : l’épique ‘The Wind’ (17’30, passage obligé dans le prog classique) est un modèle d’accumulation de clichés, tous très bien exécutés, mais qui n’apportent guère de frissons - deux couplets-refrains puis le solo de guitare en prolongement, le break rock à mi-parcours pour changer de lead vocal (Jenny Storm, moins anonyme que Jonas Lindberg au micro), un pont synthé pour introduire le solo guitare et en route pour le final ample… rien de rédhibitoire dans cette longue pièce, mais le tout sonne scolaire et bien trop sage.
Ce côté trop réservé handicape l’album : à l’écoute de ‘Faces of Stone’, la rythmique impaire (5/4) arrive à perturber légèrement la bonhomie ambiante, mais même là les claviers manquent de tranchant pour emporter l’adhésion. En somme, pour un non-habitué des musiques progressives, ‘Time Frames’ paraîtra tout à fait consommable (encore une fois, c’est très bien réalisé), en revanche pour celui qui a de l’expérience en la matière, l’album risque de paraître bien conventionnel. Et prêtera donc à polémique.