Cranial est un groupe allemand qui tente – et réussit - la fusion tellurique entre sludge doom et post metal. Ce n’est pas très original mais il le fait bien. Très bien même. Et avec un sens de l’atmosphère viciée, de la rage pétrifiée, de la douleur désespérée, qui confère à ce matériau ultra pesant une ampleur colossale.

Qu’il embarque l’ancien guitariste d’Omega Massif, Michael Melchers, ne surprend donc absolument pas, filiation qui dit beaucoup du style bétonné et d’une qualité tant dans l’écriture que dans l’exécution qui ne saurait susciter la moindre réserve. C’est du costaud, du robuste, non dénué cependant d’une réelle puissance émotionnelle qui fait toute la différence avec le tout venant du sludge atmosphérique.

Contrairement à Omega Massif, Cranial n’opte pas toutefois pour une formule instrumentale puisque le chant, écorché et rugueux, presque nihiliste dans sa noirceur charbonneuse, y tient une place essentielle, déterminante. Après six années de silence, qui s’expliquent notamment par le décès du batteur Cornelius Merlin en 2021, les Allemands accouchent enfin d’un troisième effort. Leur signature demeure inchangée depuis "Dark Towers / "Bright Lights" (2017) et "Alternate Endings" (2019), et repose sur des compositions étirées et massives (évidemment) qui dressent un véritable blockhaus aussi étouffant qu’écrasant, cathédrale brutaliste où se concentrent toute la colère et la tristesse d’une humanité perdue.

De fait, "Structures", quatre titres d’une bonne dizaine de minutes en moyenne au maillage dense et ferrugineux, porte bien son nom qui évoque quelque de chose froid, de tentaculaire, entre Isis et Cult Of Luna, alourdit plus encore par sa dureté autarcique enracinée dans la terre germanique qui l’a vu naître. Epaisses comme des câbles à haute tension, creusées dans le béton de bunkers mortifères, les guitares tissent néanmoins une toile déchirante de beauté, témoin les dernières minutes de ‘Guidelines’ qui, après s’être abîmé dans une marée noire, emportés par des rouleaux agressifs, s’élève avec une force aussi bouleversante que salvatrice, comme une pale lueur d’espoir.

Une mélopée féminine parcimonieuse mais ô combien lumineuse, vient également parfois briser ce torrent colérique (‘Structures’) ou participer à la fondation d’un paysage tout d’abord hypnotique avant d’être balayé par une tempête accablée (‘Into The Abyss’).

Certes Cranial n’innove en rien, alignant respectueusement tous les invariants propres à un post metal à la fois énervé et dramatique mais, tendu comme le foc d’un navire, "Structures" charrie un tel magma émotionnel qu’il ne peut qu’emporter l’adhésion.