« A Time Of Day », le dernier album d’Anekdoten, immerge les sens au sein d’un univers aux inspirations mélancoliques et à l’ambiance parfois acoustique, parfois saturée, parfois atmosphérique et psychédélique. Au cœur d’un eldorado dominé par les sonorités puissantes de mellotrons omniprésents et par l’orgue Farfisa, dont l'ampleur apporte, par moments, une couleur fin « sixties » séduisante.
Le décor est planté et s’imposera toujours plus à nous pour nous emporter littéralement à mi-chemin ; l’ensemble « A Sky About To Rain - Every Step I Take », dont le passage instrumental (intro acoustique et relents d'un moog amplifiant une atmosphère sans cesse croissante), composé de trois minutes, si courtes et pourtant si éternelles, se transforme en un moment infini d’intenses sensations et surpasse, en qualité émotionnelle, ce que beaucoup de groupes ne parviennent à délivrer à partir de morceaux nettement plus longs. Un instant lumineux, probablement l’un des plus jouissifs de l’ère Anekdoten, qui prend aux tripes, et qui fait naître en nous, au fil de ses notes grandissantes et de sa montée en ébullition, des frémissements et des vibrations propres à consumer les élans de vie qui nous inspirent ; la musique devient alors aérienne, transportant notre âme dans un état de lévitation proche de l’extase.
Au chapitre de notre délectation viendra s'ajouter l’apparition d’un violon passager, l’alternance de l’acoustique paisible (l’envoûtant « Stardust and Sand » aux échos floydiens persistants, période « Atom Heart Mother ») avec l’âpreté de sons plus durs, le chant lumineux d’une flûte ensoleillée (sur le délicieux « 30 Pieces ») qui apporte une touche bienvenue de gaieté à l’ensemble et de lumière à cet univers ténébreux. On y relèvera aussi l’envolée enivrante d’une guitare aux résonnances très « Riverside » pour parachever le tourbillon sonore délivré par « In For A Ride ». Et puis, il y ces voix qui, finement orchestrées, épousent le tableau instrumental avec cohésion et justesse, retentissant mieux que sur les albums précédents. Finalement, cette splendeur est magnifiée par un « Prince of The Ocean » accompagné par un violoncelle aux airs mélancoliques somptueux.
Certes, l’univers qui nous transporte ne touche pas pour autant la perfection. Il gravite autour de l’excellence par moments, puis s’en éloigne, s’embrumant dans des courants plus opprimants. On pourra notamment lui reprocher son manque d’originalité, peinant à renouveler le portrait de « Gravity », puisant à profusion dans le déjà entendu, reproduisant des plans déjà élaborés et exploitant des sons rétros sans les retravailler suffisamment. On pourra regretter une utilisation parfois abusive du moog, un tempo trop lancinant et mou, un manque de variations et d'alternances inspirées, un abandon des cassures rythmiques présentes sur les premiers albums, un léger éloignement de l’influence « crimsonnienne » pour l'adoption de tonalités plus accessibles et plus modernisées.
L’ensemble s'oriente ainsi vers un horizon aux formes davantage simplifiées et aux allures plus commerciales, qui devrait s'étendre au-delà du noyau fidèle de ses admirateurs. Mais qu’importe finalement. Avec « A Time Of Day », Anekdoten s’efforce d’affiner son style musical pour obtenir un ensemble cohérent et harmonieux, qui parvient à fusionner habilement son inspiration du passé à ses instincts modernes, à s’imprégner du penchant plus « pop » de « Gravity » tout en se ressourçant au plus profond de ses origines pour renaître à la lumière de l’ambition et de l’énergie de ses débuts. Il nous délivre ainsi une œuvre qui ne devrait pas laisser insensibles les amoureux inconditionnels d’un rock progressif aux ambiances sombres et mélancoliques portées par des sections rythmiques percutantes et efficaces. Assurément un voyage à pénétrer, une œuvre à visiter.