Pourquoi ce long silence (4 ans !) qui a suivi la sortie de "Culinaire lingus", dernier album d'Ange paru en 2001 ? On venait de découvrir Caroline Crozat, première voix féminine du mythique groupe belfortin et on espérait un album de consécration de cette nouvelle formation que la France entière applaudit. Si Ange n'écrit pas, Ange tourne ! Le succès d'Ange sur scène confirme que cette configuration à 3 voix fonctionne à merveille (cf. la chronique de "Zénith an II").
Qu'est-ce donc que cet album sans titre sorti en 2005 et qui semble poser la question de la légitimité du groupe ? Comment a évolué la créativité de l'intarissable Christian Décamps ? Que devient la musique du groupe ? Qui reste ? Qui s'en va ? Lecteur, si tu veux des réponses à toutes ces questions, il te suffit d'acheter l'album, de parcourir le livret et de te repaître des compositions 'angéliques'. Mais avant tout, un indice chez vous : papy Décamps explique avec son humour poétique (ou sa poésie humoristique ?) que, ne trouvant LE titre pour l'album, Ange laisse à l'auditeur le soin de le nommer lui-même.
La question la plus délicate maintenant se pose à moi : comment analyser ce disque et comment le noter. Les titres sont nombreux (13) et les compositions sont variées mais très inégales.
Après un premier titre très encourageant (le couteau suisse) et des paroles dignes du grand Christian (Je suis un couteau suisse, amoureux de son manche…), sur une musique résolument moderne, avec un rien de boîte à rythme de très bon goût (ou alors c’est bien imité), « Ricochet », qui suit, est bien moins enthousiasmant avec son refrain sans relief et une orchestration cent fois entendue. « Histoire d’Outre-rêve » est d’un autre acabit. Jazzy à souhait, long de plus de 9 minutes, on va retrouver là de quoi se réveiller. A commencer par une guitare qui n’est pas sans rappeler celle de « Waiting for the Big One » de Peter Gabriel (premier album). Que dire du petit texte final, sur le point d’interrogation, qui prouve la ‘verte verve du vieux’ Christian Décamps ?
On retombe ensuite dans les travers de « Ricochet » avec « J’aurais aimé ne pas t’aimer » qui malgré un intermède jazzy en son milieu, reste plat. « Cœur à Corps » lui fait suite. Rythme endiablé, chœur féminin qui rappelle Odeur (les plus anciens se souviendront de ce groupe mythique bloqué au stade nasal). Encore un titre dispensable, comme malheureusement « Les eaux du Gange », morceau tout en douceur qui crée une ambiance, mais pas d’émotion. « Les Naufragés du Zodiaque », qui n’apporte rien dans sa première partie (un refrain indigeste), voit son développement gagner toute l’attention. Une batterie sur le final à l’ambiance très réussie qui rappelle pendant quelques secondes Jeff Porcaro dans « it’s a miracle » de Roger Waters. Belle fin, originale.
Caroline Crozat fait alors sa vraie entrée dans « Entre Foutre et Foot », au texte cru qui milite pour les femmes mal aimées. A ne pas mettre entre toutes les oreilles, donc forcément à écouter. Christian semble avoir une vraie compassion pour ces femmes malheureuses dans leur quotidien, et il le dit bien. On retombe ensuite dans les travers de cet album sans titre avec « Les Ombres Chinoises », suivi d’un « Sous Hypnose » guère plus intéressant, malgré sa rythmique bien chaloupée.
« Passeport pour nulle part », avec ses trombones, flûte traversière et rythmique de feu, est par contre un excellent remontant. Rien à jeter dans ce flux d’énergie ! Ce gimmick des trombones : un must, hautement recommandé. Et ça enchaîne avec un « Quand est-ce qu’on Viendra d’Ailleurs » jazzy, qui swingue comme une chanson dans un film de Walt Disney (plus le livre de la jungle que la belle au bois dormant, d’accord, mais ….). Le final reprend le thème du refrain, développé en instrumental de façon très progressive et convaincante. « Jazzouillis » ferme alors le ban. Un autre morceau aux consonances jazz. Ecoutez cette intro piano électrique-chant, qui enchaîne sur un duo (Caroline Crozat entre en jeu) qui monte en intensité, avec comme point culminant un bref solo de guitare, vous ne serez pas déçus.
On l’a vu donc, compositions inégales, avec une majorité de titres mineurs. Heureusement que certains moments nous prouvent que Christian Décamps et ses compères en ont sous la pédale. La tendresse que beaucoup éprouvent pour ce groupe fera sûrement aimer cet album (le John Doe de la discographie), mais en toute objectivité, la qualité est erratique. Pour toute conclusion, je ne prendrais pas le risque de proposer un titre à un album que même son concepteur n’a su nommer...