Nous sommes en Allemagne, dans un petit village du nom de Fulda, la neige a recouvert de son manteau de silence le paysage rural qui nous entoure. Les contours des rares chaumières dont la vue s’offre à nous se détachent sur l’immaculée blancheur nappant les lieux. Fantomatiques édifices, elles sont pourtant, grâce à leurs fenêtres éclairées et leurs volutes de fumée s’échappant des cheminées, les seuls témoignages d’une vie dans cette nuit glaciale de janvier. Approchons-nous discrètement d’une de ces bâtisses et posons notre œil indiscret sur un intérieur chaleureux où s’entretiennent, au coin d’un feu crépitant, Monsieur et Madame Samett, les parents du petit Tobias. Le silence dehors s’improvisant complice, il nous permet, en tendant l’oreille, d’entendre la conversation…
Tirant avec délice sur une grande pipe en porcelaine, le maître des lieux hoche pensivement la tête, il lève alors ses yeux espiègles vers son épouse qui vient de le rejoindre sur un sofa accueillant.
- Tu peux être fier de ton fils Maman, sa notoriété grandissante ne lui fait pas oublier ses parents, regarde, il nous a adressé son petit dernier, The Scarecrow qu’il l’a appelé.
La Dame du logis porte à ses lèvres le breuvage du soir qu’elle s’est fait infuser. Une chaleur réconfortante inonde son être. Elle regarde son mari et sourit.
- Quand tes yeux se font ainsi malicieux, tu me fais penser à Toby Papa, mais toi, tu chantes beaucoup moins bien !
Monsieur Samett agite sous le nez de sa compagne l’album de leur chérubin.
- On se le passe petite moqueuse, ou tu préfères continuer à persifler sur mes capacités vocales en seule compagnie de ton teckel décérébré ?
- Ho, Papa ! As-tu fini de critiquer ce pauvre Tomili ! Arrête de me provoquer et fais nous écouter le travail de Toby.
L’homme se lève, fait mine de grommeler et dépose l’offrande dans le lecteur de salon.
Les premières notes de Twisted Mind emplissent la pièce, l’écoute est quasi-religieuse. Le titre s’achève au moment où Tomili se lance dans une frénétique tentative de battre le record d’Allemagne du plus long grattage du cou avec la patte arrière gauche.
- Pamela a eu tort de lui acheter ce collier à clous, il ne le supporte pas le pauvre chéri…
- Dis donc Maman, c’est tout ce que tu trouves à dire sur le duo du Petit avec ce Roy Khan ? Sais-tu au moins que c’est le chanteur de KAMELOT, un groupe américain de Métal Mélodique comme ils disent ? Hé bien moi je vais te le donner mon avis, je suis un peu déçu par cette entrée en matière, la mélodie n’est pas très originale et les arrangements non plus.
- Ca y est, ton éternelle exigence ressort déjà, et bien moi je trouve que les voix des deux garçons se marient harmonieusement, tu es trop difficile Papa, je te l’ai toujours dit. Et arrête de maugréer, le second titre commence…
Les sonorités celtico-folklorique de The Scarecrow se font entendre, les pieds bien au chaud de nos deux compagnons d’un soir se mettent à battre la mesure dans leurs pantoufles Guns N’Roses…
- Alors là Maman je m’incline…quel titre ! …Quelle voix ce Jorn Lande, il me rappelle…
- Le beau David Coverdale !
- Le talentueux David Coverdale Maman. Il est phénoménal ce morceau, ses premières mélopées folk, son refrain facilement mémorisable, sa cassure planante grâce à ses guitares lointaines et surtout son final rapide qui me laisse pantois. En plus ce Sascha Paeth nous a sorti un bien joli solo de guitare ma foi. Ce titre est succulent !
- Tu parles comme un vieux mon Chéri, on ne dit pas « une cassure » on dit « un break », en plus tu ne sais même pas reconnaître un morceau épique ! Ne me dis pas que tu n’as jamais entendu Tobias utiliser ce mot ?
- Ecoute au lieu de parader, le morceau suivant s’invite déjà à notre petite soirée…C’est Shelter from the Rain.
Tomili s’éloigne des enceintes, le son heavy du morceau chagrine ses oreilles sensibles.
- Maman, ça c’est du HELLOWEEN tout craché, il a toujours été admirateur de ce diable de Michael Kiske notre petit Toby ! C’est un morceau qui sera apprécié sur scène, il plaira aux nostalgiques de la période Hellfire Club !
- Dis donc vieux camarade, la sénilité te guette, tu n’as même pas reconnu Michael, c’est lui qui chante avec ton fils, sans oublier ce grand bonhomme qu’est Bob Catley le vocaliste de MAGNUM. Et sais-tu qui joue de la guitare à leurs côtés ?...Hé bien c’est Kai Hansen du gang à la citrouille. Tu te rends compte que notre garnement a réussi à les attirer tous les deux sur son projet, il est connu maintenant ton fiston ! Ha, c’est déjà le morceau suivant, ça va me plaire, c’est un slow…
Carry me over égrène sa mélopée apaisante, le cabot, qui s'était réfugié sous le canapé, apprécie ce retour au calme relatif.
- Alors là Papa, voilà une ballade qui me plaît, quelle jolie mélodie.
- Tu vois mon Amour, j’ai toujours trouvé que les slows n’étaient pas le fort de Tobias, et je pense qu’il n’a pas encore trouvé son Still Loving You…Je n’ai pas accroché au côté Bon Jovi...oui je sais, le beau Bon…et le Petit se répète trop, il chante tout de même 25 fois Carry Me Over sur ce titre !...Allez, tu as de la chance, la suivante est encore une ballade…
What Kind of Love déverse ses douces envolées dans le salon simplement éclairé par le brasier consumant les bûches dans l’âtre. Le teckel sourd en profite pour tenter un improbable somme.
- Quelle belle voix elle a cette Amanda Sommerville ! Là tu ne vas pas dire que sa balade est ratée au gamin ?!
- Je conçois que cette fois-ci, il s’en est pas mal sorti, c’est assez mélodieux et mélancolique. Fais-moi penser à lui dire quand on le verra qu’il doit garder ces qualités lors de ses prochains essais, mais de faire encore mieux en allant chercher un peu plus d’originalité. Attends, écoute la suite, ça démarre fort !...
Another Angel Town martèle l’atmosphère chaleureuse des lieux. C’en est trop pour le chien, il opte pour une visite de sa gamelle sous l’escalier, au diable ces sons insupportables, la pâtée Venom, y’a qu’ça d’vrai.
- On dirait du MASTERPLAN ! Retour au Speed Métal, quelle hargne vocale !
- C’est normal grand bêta, c’est Jorn qui a repris le micro ! Et notre Toby qui bouscule tout sur son passage sur le refrain, quel don du ciel cet enfant ! Que va nous réserver la prochaine chanson ?...
The Toy Master et son sombre univers distille ses effluves cauchemardesques, Tomili vient se réfugier dans les bras de sa maîtresse et lui lance des regards inquiets.
- Quand tu penses que c’est l’icône Alice Cooper qui a répondu présent à l’appel de Tobi, ça me laisse sans voix, comme l’accélération finale sur ce titre d’ailleurs…
- Oui en effet, c’est même une méga-accélération, mais ne trouves-tu pas Chérie que ce morceau n’est pas d’une originalité marquée et que la mélodie n’est pas renversante…
- Voyons, Papa, ce chant à trois sur la poussée finale avec l’apport de la petite Amanda, ne me dit pas que ça n’est pas bien pensé !...
- Ce n’est pas ce que je reproche à ce titre, c’est carré mais ça manque de peps, voilà, c’est le mot !...Ecoute la suite, elle part bien…
Devil in the Belfry passe comme une bourrasque, les flammes dans l’âtre en vacillent…
- Papa, celle-là, elle n’a pas été clémente pour ma mise en plis !...Jorn et le petit s’en sont donné à cœur joie !...
- Tu ne trouves pas que parfois les guitares sonnent comme du GAMMA RAY, si je te dis que j’ai déjà entendu ça…
- Vieux râleur, tu vas finir par m’agacer avec tes remarques infondées. Je t’ai vu taper du pied et dodeliner de la tête, je sais bien que ce n’est pas Parkinsson, je suis certaine que tu as apprécié !...
- Tu as raison c’était tout de même une belle cavalcade…Tiens la suivante c’est une ballade, c’est la troisième non ?...Il n’aime plus le hard-rock le Petit ?...
Cry Just a Little et ses doux arpèges apaise un instant l’atmosphère, Madame Samett essuie une larme.
- Hé bien il peut en faire tout un disque des comme celle-là si ça lui chante, tu n’es qu’une grosse brute sans cœur, comment ne peux tu pas vibrer en écoutant la voix de Bob Catley et de ton petit bonhomme sur ces harmonies délicates ?!...
- D’accord, d’accord, c’est beau, tiens prend un mouchoir, on a de la réserve depuis que tu as découvert le Brave de MARILLION…Bon, un pt’it peu de Hard Rock maintenant peut être ?!...Ha, ça démarre costaud…
I Don’t Believe in your Love assène ces riffs 80’s, Tomili a abdiqué malgré le bruit, il a rejoint les bras de sa Morphée, Pamy, la levrette d’Italie du voisin.
- J’aime bien cet Oliver Hartmann, il a une jolie voix. C’est une bonne idée que de lui avoir confié ce titre.
- J’ai surtout retenu la guitare omniprésente, ce Rudolph Schenker tient encore la route avec ses 60 ans, il peut encore cotiser quelques trimestres !...attention Maman, voilà le dernier titre, restons concentrés…
- Ha mais on le connaît celui-là, c'est Lost in Space, il était sur son EP sorti il y a peu…Que de polémiques sur ce morceau, il est pourtant fort habilement troussé…Quelle jolie mélodie Papa, c’est du trés bon Hard-Rock ça non ?...
- C’est du très bon Rock plutôt Maman…
Un ange passe…
- Finalement ma Chérie, je ne suis pas très surpris par l’orientation qu’a prise notre fils, si tu écoutes bien son Rocket Ride, hé bien il est plus teinté Heavy Rock que Speed Métal…Il a évolué avec EDGUY, c’était naturel qu’il fasse de même avec AVANTASIA. Ce n’est plus de l’Opéra Métal c’est de l’Opéra Rock. Ce n’est plus de l’Epico-Symphonique, c’est du bon vieux Hard Rock des familles.
- Moi je ne regrette pas cette évolution, c’est dans l’ordre des choses, dans l’ordre de SES choses. Quand il s’est fait couper les cheveux, j’avais déjà compris, notre fils grandit Papa et il s’assagit. Pour une Maman, c’est une bonne nouvelle. Sur ce, je vais me coucher, tu vas finir par me contrarier. Bonne nuit vieil insatisfait !...
Le patriarche se retrouve seul en compagnie du teckel affalé de tout son long sur le canapé en complète extase, il rêve qu’il est parvenu à choper le mollet de David Hasselhoff.
- Il nous a tout de même sorti un bon disque le gamin, n’est ce pas vieux compagnon ?...
Seul le ronflement bienheureux du petit animal lui répond.
Il est temps de laisser cette paisible maisonnée retrouver son intimité perturbée un moment par notre curiosité coupable. Eloignons-nous donc à pas de loup de ce havre de paix…La neige crisse sous nos semelles furtives, elle semble ne pas apprécier d’être dérangée dans ses rêves glacés.
Au sommet d’un sapin probablement centenaire, deux hulottes se disputent dans de lugubres cris stridents...décidemment, le Scarecrow ne met personne d’accord…