Dans la famille de la nouvelle génération de guitaristes instrumentaux, je demande un chauve… Euh, oui bon, il y en a plusieurs, des français, des américains : celui dont on parle est assez méconnu par chez nous mais il semble bénéficier d’un cercle d’amis bien implantés dans le milieu (en atteste la liste des invités, que nous verrons dans un instant). Lindsey Boullt, c’est son nom et même si c’est plutôt un prénom de fille on ne pourra surtout pas le taxer de jouer comme une gonzesse !
Alors qu’il ne touche sa première guitare que très tardivement à l’âge de 21 ans, Lindsey s’illustre rapidement aux commandes de son manche, si bien qu’il s’exerce maintenant en tant que professeur au Guitar Institute. Avec ‘Composition’, il signe ici son premier album solo dans un style instrumental... Solo, pas tant que ça car bien accompagné : Jerry Goodman au violon, Derek Sherinian aux claviers, Stu Hamm et Jon Herrera à la basse, Atma Anur et Jeremy Colson à la batterie…
L’album est assez court : 10 compositions pour 40 minutes de musique. Ce qui est étonnant, c’est qu’un artiste d’une telle envergure, visiblement connu puisqu’il arrive à drainer pas mal de pointures autour de lui, sorte un album en autoproduction… Vu le nombre de guitar-heroes médiocres produits par certains labels, peut-être Lindsey a t-il préferé se débrouiller seul.
Comme souvent dans ce type d’exercice musical, les influences sont hétéroclites : métal, rock, shred, jazz, fusion… Cette variété est renforcée par la diversité des intervenants, que ce soit dans le style de jeu qui se trouve orienté par tel ou tel musicien, ou dans les sonorités et ambiances particulières apportées par tel ou tel instrument. Cependant, de façon synthétique il est possible de retenir essentiellement deux mouvements dans cette œuvre : un premier traité de manière orientale (sitar, percussions, violons etc…) et un second davantage rock/métal (synthés, shred, rythmes qui bastonnent, descentes de manche…). La facette orientale est cependant la plus présente tout le long de l’album.
C’est ainsi que ‘Page Revisited’ mélange sonorités indiennes et gros riffs qui alternent avec des arpèges acoustiques avant de faire la part belle à des soli furieux saupoudrés d’épaisses nappes de synthés. ‘Chasing the Whirling Dervish’ commence où le précédent titre s’arrête. Il prolonge l’ambiance indienne par un thème plutôt arabisant avec un violon doublé par la guitare. Tous les instruments se mêlent à merveille pour créer une ambiance où le groove de la section rythmique donne le change à la déferlante de notes finale. ‘Moving Panvishnu’ explore quant à lui des couleurs davantage free jazz et fusion en alternant des accompagnements rock et des lignes de basse en premier plan.
‘Call for Peace’ nous propose aussi une savante mixture d’ambiances orientales où le violon et la guitare jouent des thèmes à l’unisson alors qu’une voix se joint à l’effort pour compléter certaines harmonies. ‘Bravo Davo de la Torre’ expose la facette rock de Lindsey avec un riff bien dégoulinant faisant penser à une intro digne d’un ‘Speed Metal Symphony’ de Cacophony. Bien que les intrumentations soient ici principalement électriques, Lindsey casse tout de même le rythme en milieu de titre pour une petite incursion orientale avec deux ou trois notes de sitar qui ponctuent la superposition de solos.
‘Aurora’s Aura’ joue sur les ambiances acoustiques pour mettre le violon, dans un esprit tzigane mélancolique, sur le devant de la scène. Mention spéciale pour le jeu de batterie légèrement arythmique, tout en finesse. ‘Groovin with Stu’ explore des dialogues entre basse slapante et phrasés de guitare acoustique. Le sitar n’est pas loin non plus. ‘Taste the Hate’ aurait, quant à lui, pu être composé par Derek Shérinian. On y reconnaît la griffe de ses claviers et ses déferlantes de gammes dans un rock/métal n’oubliant pas non plus les parfums arabisants. ‘Farewell’ prend des accents de ballade, non sans rappeler certains titres phares d’un autre chauve nommé Satriani alors que ‘Cleopatra’s Third’s Eye’ clôture l’album sur un titre fusion qui résume bien le propos musical de Lindsey.
Bien qu’un peu court, l’album révèle des compositions très structurées et recherchées. Les arrangements sont soignés et les accompagnements peaufinés. Des influences multiples ressortent (Jason Becker, Shawn Lane, Mahavishnu Orchestra, Satriani…). Lindsey propose un très bon équilibre entre thèmes, accompagnements, soli furieux, riffs, autres instruments, le tout au service de la mélodie : la guitare est très présente mais pas toujours au premier plan, elle sait s’effacer pour mettre en avant un superbe phrasé de violon, de sitar, de synthé ou de basse. La production, assurée par Chris Manning (Metallica, Santana), est vraiment impeccable et soutient parfaitement la multiplicité des instrumentations sur divers passages.
Un album très intéressant, aux multiples influences, qui mixe des bases rock et métal à de nombreuses ambiances orientales servies par des instruments caractéristiques et des guests remarquables. Ça vaut sincèrement le coup d’oreille !