ARTISTE:

NAKED CITY

(ETATS UNIS)
TITRE:

NAKED CITY

(1990)
LABEL:

TZADIK

GENRE:

JAZZ

TAGS:
Expérimental
""
PLATYPUS (21.02.2008)  
4/5
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En 1990, la formation de jazz avant-gardiste et expérimental Naked City, dirigée par le saxophoniste new-yorkais John Zorn, sortait son premier album. Loin d’être un coup d’essai, puisque les musiciens avaient derrière eux un passé musical déjà chargé, il s’agissait plutôt d’un coup de maître. Car voici un album qui a révolutionné la scène jazz, et peut-être l’ensemble de la scène contemporaine, tant la musique proposée se joue des codes, des styles, des rythmes, métrages et harmonies. C'est donc une œuvre rare, inscrite dans son temps et en avance sur celui-ci, mettant à bas tous les repères traditionnels mais proposant néanmoins une vision unifiée et cohérente de notre société, une vision d’apocalypse, que nous propose Zorn.

Le terme qui vient à l’esprit après l’épreuve – car c’en est une ! – de la première écoute, c’est « déconstruction » ; John Zorn est fan de cut-up (collages sonores), et ça s’entend. Non content de reprendre des thèmes issus des meilleures B.O. (Batman, Le clan des Siciliens, James Bond…), le groupe pille, détruit et reconstruit tout un pan de l’histoire de la musique populaire : country, rock, death métal, trash, musique d’ambiance… pas un style qui ne soit désintégré dans le maelström sonore zornien. Brouillage des codes, refus des classifications, rare liberté d’improvisation (écoutez Reanimator, et vous comprendrez), le groupe représente à lui seul ce que l’avant-garde sait faire de mieux. Mais contrairement à ce que l’on pourrait craindre, à aucun moment l’expérimentation ne se passe de la mélodie ; elle tendrait plutôt à la porter, à la magnifier. You will be shot en est un bel exemple : morceau structuré par un riff rock, il est traversé de fulgurances mélodiques (guitare puis piano) qui prennent une dimension bien particulière car ceinturées d’explosions sonores dignes des morceaux les plus bruitistes du quintet. A l’inverse, mais dans la même optique, Contempt développe un thème des plus classique, qui semble être la condition même des improvisations hallucinées de Zorn.

Jeu sur les contrastes, mélange des genres, morceaux impeccablement déstructurés; alléchant, mais l’alchimie pourrait cependant ne pas convaincre. Ce serait oublier l’exceptionnelle performance technique des musiciens, qui font preuve d’une souplesse peu commune : il faut les imaginer passer en quelques secondes, au sein d’un même morceau, d’une rythmique rock au bruitisme hardcore du chanteur Yamatsuka Eye, puis enchaîner un court passage ambiant, une expérimentation vocale à l’accompagnement très jazzy, reprendre la rythmique rock, l’explosion bruitiste, introduire de nouveau un passage ambiant puis finir sur une courte séquence hardcore (Demon Sanctuary, 41 secondes) ! Ajoutons à cela de brillantes qualités d’improvisateurs, le son inimitable que Zorn tire de son alto et les performances vocales du chanteur (adeptes de mélodies pures et de voix cristallines, ne vous attardez pas sur les pistes 10 à 17, vous n’en sortiriez pas indemnes), et nous tenons là un groupe majeur pour un album non moins essentiel.

Mais il faut bien maintenant repérer les quelques faiblesses de cette production. Sa difficulté d’accès d’abord, qui pourra rebuter les non initiés, mais ravira les fidèles. Néanmoins, quelques écoutes attentives devraient suffire à repérer, au-delà de l’apparence décousue du propos, une véritable unité, autant stylistique que thématique, qui n’est pas loin de s’apparenter à une véritable logique musicale, une philosophie sonore même. Et c’est là le deuxième reproche qui pourrait être fait : toute musique conceptuelle risque, à moins d’une adhésion totale, de lasser l’auditeur. Et c’est vrai qu’il est malaisé d’associer à chaque morceau son titre, tant le repérage de thèmes porteurs ou de mélodies fédératrices reste complexe. Enfin, la voix de Yamatsuka Eye, chanteur du groupe hardcore The Boredoms, est susceptible de rebuter nombre d’auditeurs, car elle est toute en cris, râles, hurlements, toux et borborygmes.

Comment conclure alors, sinon en recommandant de prêter une attention toute particulière à la photographie qui illustre la pochette : un homme couché au sol, allongé dans une flaque de sang, le visage percé par une balle du revolver qui gît à quelques pas. L’album n’est rien d’autre qu’une illustration hallucinée de cette terreur qui hante nos consciences urbaines : la violence mise à nue, composante essentielle de la condition humaine ; illustration aussi peut-être de ce fantasme qui parcourut, à la suite de Sade, tout le XIXe siècle : le crime considéré comme l’un des beaux-arts…


Plus d'information sur http://www.omnology.com/zorn03.html





LISTE DES PISTES:
01. Batman - 02:06
02. The Sicilian Clan - 03:33
03. You Will Be Shot - 01:31
04. Latin Quarter - 04:12
05. A Shot In The Dark - 03:13
06. Reanimator - 01:43
07. Snagglepuss - 02:20
08. I Want To Live - 02:12
09. Lonely Woman - 02:46
10. Igneous Ejaculation - 00:24
11. Blood Duster - 00:17
12. Hammerhead - 00:11
13. Demon Sanctuary - 00:42
14. Obeah Man - 00:20
15. Ujaku - 00:31
16. Fuck The Facts - 00:14
17. Speedball - 00:44
18. Chinatown - 04:28
19. Punk China Doll - 03:04
20. N. Y. Flat Top Box - 00:46
21. Saigon Pickup - 04:51
22. The James Bond Theme - 03:06
23. Den Of Sins - 01:14
24. Contempt - 02:54
25. Graveyard Shift - 03:32
26. Inside Straight - 04:17

FORMATION:
Bill Frisell : Guitares
Fred Frith : Basse
Joey Baron : Batterie / Percussions
John Zorn : Chant / Saxophone alto
Wayne Horvitz : Claviers / Piano
Yamatsuka Eye (invité): Chant
   
(1) AVIS DES LECTEURS    
ALADDIN_SANE
21/02/2008
  0 0  
4/5
Le plus abordable des albums de Naked City, le plus varié également (BO, surf music, free jazz, hardcore...). Une expérience auditive comme on en a rarement fait. A noter, la présence de la superbe reprise "Contempt" de George Delerue tirée du film "Le Mépris". Après ça, vous n'écouterez plus le jazz de la même façon...
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