Dix longues années que le guitariste de Toto, Steve Lukather, n’avait pas proposé un véritable album solo. Depuis l’excellent Luke paru en 1997, la fine lame des studios n’a certes pas chômé : une tournée avec son groupe de reprises, El Grupo, un album live avec son compère Larry Carlton avec le très jazz-rock "No Sustitutions" en 2001 et surtout le dernier album de Toto, Falling In Between, sorti en 2006. On peut dire que Luke ne s’est pas fait discret durant ces dernières années, pour notre plus grand plaisir, mais il manquait ce petit plus avec cet album solo, Ever Changing Times, qui vient aujourd’hui égayer nos fraîches journées d’hiver.
Nul besoin de présenter Steve Lukather en détail sauf à vous rappeler qu’il fut et reste l’un des guitaristes de studio les plus employés par les groupes du monde entier. Il vous suffit d’aller jeter un coup d’œil sur le site du monsieur pour y lire sa monstrueuse discographie. On peut dire qu’à une certaine période, peu d’albums sortaient sans que Luke n’y ait posé un accord ou un solo. Ce guitariste est connu pour sa science de l’harmonie, son incroyable inspiration a trouvé le bon riff au bon moment et son extrême gentillesse. Entre les tournées mondiales de Toto et ses diverses sollicitations, Luke parvient néanmoins à composer un disque solo de temps en temps ( c’est seulement le quatrième depuis près de 20 ans !). C’est donc sur Ever Changing Times que tout notre attention est fixée.
Pour cet album, Luke s’est entouré des mêmes musiciens qui le suivent depuis quelques temps déjà et la liste est impressionnante. Outre le noyau dur vient se greffer une multitude d’invités de marque. Sans être exhaustif citons Joseph Williams (ex Toto) et Bill Champlin (Chicago) aux voix, Steve Porcaro et Greg Mathieson aux claviers, Phil Soussan à la basse et les enfants de Steve, Trevor et Tina au chant et guitares. L’album est produit par Steve et composé sur la quasi-intégralité des titres par le duo Lukather/Goodrum. A cause de la qualité loin d’être optimale du support physique à partir duquel votre serviteur a écouté l’album pour rédiger sa chronique, je ne me prononcerai pas sur la valeur générale de la production ou du son de l’enregistrement. Il faudra vous faire votre propre idée en achetant l’objet. Mais avec Luke, on ne peut pas être déçu.
L’album Falling In Between de Toto étant encore très présent au moment de la composition de Ever Changing Times, c’est naturellement que celui-ci s’inscrit dans ce sillon déjà tracé. On retrouve toujours la patte de Luke surtout lors des ballades. Mais c’est un autre album de Toto qui vient à l’esprit sur plusieurs morceaux : Tambu sortit en 1995, album sur lequel Luke a le plus pesé tant en terme de composition que de présence car il y tenait le rôle de chanteur principal en l’absence de Bobby Kimbal. On retrouve cette parenté sur « How Many Zeros » et « Jammin’ With Jesus » par exemple avec leurs chœurs très caractéristiques de l’époque Tambu.
L’album oscille entre ballades très typées west coast (« I Am »), mid-tempo rythmés (« The Letting Go »), morceaux rock assez soft (« Stab in The Back ») et chansons plus enlevées (« New World »). Parfois l’incursion de gros riffs vient réveiller l’auditeur distrait par le tempo comme sur « Stab In The Back » ou avec le riff tellurique ( le plus puissant de l’album avec accordage Re) de « Tell Me What You Want From From Me », un des meilleurs morceaux du disque. « Ever Changing Time » et « New World » sont les morceaux les plus puissants avec leur riff de couplet très solide.
« Never Ending Time » est le mid-tempo typique de Lukather avec ses percussions tout droit sorties des années 80, ses nappes de claviers et son refrain. Si le précédent album solo Luke était plus instinctif et brut, très inspiré par Hendrix, Never Ending Times fait la part belle aux claviers et aux mélodies sucrées. De larges plages sont laissées aux claviéristes venus se faire plaisir comme sur l’interlude clavier-guitare de « Ice Bound ». On retrouve souvent l’ambiance d’un autre groupe culte de la côte ouest dans lequel Lukather avait fait quelques apparitions : Karisma.
On n’aurait pu s’attendre à un album plus orienté guitare mais Luke a privilégié la cohésion du groupe aux envolées virtuoses. Cela ne veut pas dire qu’il se soit restreint en soli, bien au contraire. Ceux-ci sont peut-être moins démonstratifs mais ils éclairent le disque de leur créativité (« New World », « Never Ending Time » et celui de « Stab in The Back » avec ses drôles d’effet à la talk-box). Luke se permet tout de même un instrumental tout en finesse dans lequel il éclabousse l’auditeur de sa classe et de son feeling. « The Truth » pourrait être un très bel hommage à Jeff Beck, un des maîtres de Steve, tellement il s’est approprié son approche de l’instrument. Cet instrumental est une pépite de tempérance et de toucher, dosage parfait d’émotions avec une utilisation magistrale du vibrato.
Album assez différent de son prédécesseur car beaucoup plus imprégné de claviers et de ballades, il n’en demeure pas moins un bon album de Steve Lukather avec quelques passages très plaisants. Si l’inspiration de Luke possède diverses facettes, celle plus rock des origines à la Jimi Hendrix, celle jazz-fusion-west-coast manifestée dans ces side-projects comme El Grupo ou Los Lobotomys, ce serait plutôt la facette rock mélodique-Toto qui est à l’honneur avec Ever Changing Times.