Chers lecteurs, laissez-moi vous conter l’histoire d’un disque qui, sans être inouï, semble promis à un brillant avenir. Ce disque, appelons-le Mind Control, et dénommons ses géniteurs Souljourners. Lorsque nous aurons précisé qu’il s’agit d’un concept album supportant deux niveaux d’interprétation et s’étalant sur plus d’une heure dix pour douze morceaux, gageons que votre intérêt aura augmenté d’un cran ; et vous aurez raison.
Car dès le premier morceau, le ton est donné : riffs de guitare typiquement progressifs, parfois doublés à la tierce ; clavier omniprésent, aussi bien en accompagnement qu’en solo ; complexité rythmique assurée par un tandem basse/batterie des plus efficace ; soli de guitare parfaitement exécutés, avec autant de technique que de feeling ; chant expressif, théâtral, voix chaude et légèrement éraillée, dédaignant les performances vocales d’un James Labrie (et ce n’est pas plus mal…).
Le propos, malgré un aspect virtuose qui pourrait rebuter les non-pratiquants, fait la part belle aux mélodies et à des arrangements légèrement symphoniques qui confèrent aux compositions une amplitude fort réjouissante. Tout au long de l’album, le groupe saura maintenir ce subtil dosage entre émotion, technique pure, violence relative (il s’agit de métal progressif) et orchestration virtuose. Avant d’aller plus avant, il convient de préciser que le guitariste est aussi le chanteur, et vice-versa : originalité que peu de groupes peuvent se permettre, tant dans le genre qui nous occupe ici, le niveau technique requis semble incroyable.
Malgré une remarquable cohésion entre les morceaux – aspect qui parfois vire à la monotonie, mais ne soyons pas désagréable, il ne s’agit après tout que du premier album du groupe –, certains se détachent du lot. Crazy Times déjà, illuminé par la guitare de Phil Collen, membre du groupe Def Leppard, et qui indubitablement donne au morceau une couleur plus hard-rock ; le chant de Michael Couts prend des accents Hetfieldiens (époque Load et ReLoad), tandis que les instrumentistes s’offrent une longue plage progressive, soli à foison, changements de tonalité et ruptures rythmiques étant au menu. Sapphire World est un instrumental, premier morceau de l’album à dévoiler réellement la personnalité du groupe. L’ambiance est plus sombre, parfois épique, et curieusement, au détour d’un solo de piano joyeusement jazzy, on se surprend à penser à Nemo. Le piano prend ici une place de choix, et puisqu’il s’agit d’une réussite, le groupe réitèrera dans d’autres morceaux, toujours avec bonheur (à cet égard, Tangent Universe est tout simplement grandiose). Il faut signaler également Lost Vision, morceau intimiste (piano/chant) assez audacieux même si sans grande originalité (Andromeda sut bien mieux faire avec Castaway dans l’album II=I). Enfin, le morceau éponyme Mind Control révèle le formidable potentiel du groupe, entre Dream Theater et Symphony X, avec un duel guitare/clavier très impressionnant introduit au milieu de la pièce... Un passage typiquement métal prog qui séduira forcément les amateurs et, espérons-le, les autres aussi.
Mais il faut nuancer le bilan. Malgré une virtuosité et une maturité, tant individuelles que collectives, ahurissantes, on sent bien qu’il s’agit là d’un premier album. Le groupe semble avoir du mal à débrider son jeu (cette impression est particulièrement prégnante sur Half Life) et gagnerait à adopter un état d’esprit un peu plus aventureux. Annoncé comme un concept album, on ne retrouve aucune récurrence de thèmes musicaux, particularité qui est pourtant à la base de tout concept réussi. Quant aux thèmes mélodiques, ils sont généralement portés par le chant, beaucoup plus rarement par les instruments, ce qui renforce le sentiment de monotonie déjà évoqué. Au final donc, un album attachant, incontestablement réussi, mais parfois un peu « vert » et impersonnel ; pas encore indispensable, mais à surveiller de près…