Pourquoi un groupe jusqu’alors spécialisé dans les reprises éprouve-t-il le désir de composer ses propres morceaux ? La réponse la plus évidente est sans doute la meilleure : parce qu’il se sent à l’étroit et aimerait proposer à son public une œuvre plus personnelle. D’où une deuxième question : Tempestt, avec son premier album, Bring’Em On, illustre-t-il cette réponse que nous avons rapidement avancée plus haut ?
A première vue, oui. La preuve en est donnée avec le dernier morceau de l’album, Don’t Stop Believin’, reprise fameuse de Journey, qui permet de révéler, comme en négatif, les qualités personnelles du groupe. Non que cette reprise soit mauvaise, bien au contraire, mais elle met en exergue ce qui justement lui fait défaut : la profondeur d’abord (le morceau est bien agréable, mais il ne faut pas aller chercher plus loin), la virtuosité ensuite (les solis sont tout à fait à la hauteur, mais des plus quelconques), l’aventure enfin (aucune prise de risque, structure banale et impersonnelle). Concluons immédiatement donc : l’ensemble de l’album est bien plus intéressant que la reprise qui le clôt. Compromis courageux entre hard-rock mélodique, heavy metal et rock progressif, Bring’Em On ne se laisse pas réduire à un seul des genres musicaux cités. Il ne cesse de louvoyer entre les trois, leur empruntant respectivement une voix éraillée mais capable d’envolées lyriques et brutales dans les aigus, un sens du riff qui fait mouche et du solo qui désespère par sa technicité, une recherche mélodique, harmonique et climatique qui sans excès de complexité tempère le risque d’une écoute ennuyeuse.
Il y a de l’énergie dans ce disque, une puissance indubitable qui n’est pas sans rappeler parfois Dream Theater, mais aussi, plus souvent, Oceans of Sadness ou Venturia. Inutile de préciser que tous les musiciens maîtrisent parfaitement leur instrument et que le chanteur ne commet ni fausses notes ni fautes de goût trop définitives (certains hurlements cependant auraient pu être évités…). Mais il y a aussi une certaine émotion, induite par la voix (caressante et presque mielleuse dans A Life’s Alibi) et les arrangements de cordes et de cuivres (A Life’s Alibi toujours, qui présente le groupe dans son versant progressif), sans parler des solis de guitare (le duel clavier/guitare de Too High est ce que l’on peut trouver de mieux dans le heavy actuel). La qualité des compositions n’est pas en reste : elles mettent en valeur chacun des musiciens sans sombrer dans une surenchère technique parfois embarrassante pour l’auditeur non-habitué, elles tentent parfois de s’affranchir du carcan couplet/refrain/solo/refrain en soignant les introductions, les ponts et les climats (Enemy in You, titre le plus progressif de l’album du haut de ses 7 minutes 40, justifie à lui seul l’écoute du disque dans sa totalité, à la recherche d’une autre pépite de ce genre). Enfin, au sein même de structures traditionnelles, le groupe propose quelques ruptures, notamment rythmiques (accélérations induites par le batteur), qui rendent les morceaux plus attachants. De même, Higher, avec son riff orientalisant et son solo à l’accompagnement presque jazzy fait dresser l’oreille et réanime l’auditeur qui se serait endormi sur Healing, ballade convenue à deux guitares et chant où l’on s’aperçoit que BJ n’est pas Russel Allen et que le groupe n’est pas encore à la hauteur pour ce genre d’exercice.
Car Tempestt, malgré tout ce qui précède, ne convainc pas complètement. Dans ce style assez technique qu’est le leur, nous sommes en droit d’attendre de véritables soli. Or, à part sur le morceau Fallen Moon (un véritable régal), ceux-ci restent extrêmement courts, le chant prenant très rapidement le relais. Ce chant, sans être désagréable, n’en paraît pas moins quelque peu daté (fin des années 80) ; de plus, il obéit à certains codes du heavy metal (longues notes tenues dans les aigus) qui finissent par sonner second degré (ainsi dans Too High, bon morceau au demeurant). Hormis pour deux ou trois titres, les structures restent très traditionnelles, les métrages également (le 4/4 est de mise pour l’ensemble de l’album), et les arrangements au clavier, parfois fort bien pensés, ne suffisent pas à rompre la monotonie qui lentement s’installe.
En fait, nous nous trouvons en face d’une œuvre qui, malgré d’indéniables qualités, autant individuelles que collectives, ne parvient pas toujours à être gagnée par une vie propre et semble sur bien des titres assez impersonnelle. Pas de quoi s’inquiéter cependant : Bring’Em On est un premier album, il aurait été surprenant qu’il s’agisse d’un chef-d’œuvre. De plus, après plusieurs écoutes nécessaires à la rédaction de cette chronique, je ne m’en suis pas encore lassé ; plutôt bon signe, non ?