Pour les jeunes (si si, il y en a !) lecteurs de MusicWaves qui n'auraient pas connu la première moitié des années 90 et la profusion de sorties néo-progressives de l'époque, soutenue notamment par les labels Si Music et Cyclops, je rappellerais que Clive Nolan, claviériste de grand talent, au-delà de sa participation comme musicien à Pendragon et de son rôle de leader dans Arena (deux groupes phares de la scène néo-progressive actuelle) est un boulimique de musique, et a participé de près (compositeur, musicien, chanteur) ou de loin (producteur) à de nombreux projets, en compagnie notamment de son acolyte Karl Groom… Ont ainsi vu le jour de franches réussites dont on attend (toujours mais en vain ?) la suite avec impatience (Strangers on a Train, Shadowland ou encore Casino) mais également d'autres collaborations de qualité plus improbable et vite retombées dans le néant, telles les productions de Medicine Man ou encore Michelle Young.
Au début de ce nouveau millénaire, le sieur Nolan a quelque peu réduit la voilure, donnant notamment la priorité à la "machine de guerre" qu'est devenue Arena, et se contentant principalement de deux projets en compagnie du rejeton d'un autre maître des claviers, Oliver Wakeman.
Néanmoins, chassez le naturel… Et notre ami Clive s'est embarqué en 2006 dans l'aventure Caamora, en compagnie de la chanteuse polonaise Agnieszka Swita, avec en ligne de mire la réalisation d'un ambitieux projet d'opéra-prog, intitulé She, basé sur la nouvelle du même nom de H. Rider Haggard. Deux années passées à rôder petit à petit le concept avec la publication de 3 EP à l'intérêt plus ou moins discutable, mais aussi deux années parsemées de nombreuses prestations live en duo permettant le test grandeur nature des différentes compositions, avant une première représentation "au complet en mode opéra" le 31 octobre 2007, à Katowice.
Pour cette réalisation, ainsi que pour la livraison finale sur CD, notre claviériste s'est entouré d'une petite dream-team du néo-prog, incitant à une analogie facile avec son confrère métallique, Arjen Lucassen et son pojet Ayreon. Inutile de rappeler ici le pédigree des différents participants, les noms de leurs formations d'origine se suffisant à eux seuls : Magenta, Pallas, Jadis, Arena, IQ …
A projet ambitieux, moyens démesurés ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que Caamora a fait les choses en grand : plus de 2 heures de musique, pour une sortie simultanée de 6 versions différentes, proposant en solo ou sous forme d'offres groupées un triple vinyle (sic !), un double CD studio, un double CD live ou un DVD live, des livrets annoncés comme somptueux. De quoi en mettre plein la vue et vider les porte monnaies des aficionados, d'autant qu'un titre "bonus" est proposé sur certaines versions.
Et du côté des oreilles ? Après une telle présentation, l'auditeur potentiel est déjà en train de saliver et en droit de s'attendre à une bonne surprise. Surprise, voilà en tout cas un terme qu'il est difficile d'employer avec Clive Nolan, tant la quasi-totalité de ses productions reprennent de manière récurrente les mêmes recettes, tout en les améliorant. Et là, encore, dès les premières mesures, on évolue en terrain balisé : ceux qui se sont goinfrés des Nolan/Wakeman et autres albums de Shadowland ou Strangers on a Train ne seront pas dépaysés, et encore moins surpris. Nous sommes en présence d'un néo-progressif porté majoritairement par les claviers tour à tour symphoniques ou plus intimistes du maestro. De même, les très nombreuses parties vocales reprennent les accents des projets précédents, Anieszka Swita faisant oublier avec brio Tracy Hitchings. Rien de bien neuf sous le soleil du néo-progressif, ce projet apparaissant comme une synthèse aboutie des précédents travaux de Clive Nolan. Concept oblige, les thèmes principaux se répètent tout au long des 24 plages, et les titres s'enchaînent sans fausse note, avec une large place accordée aux parties vocales.
Quelques titres sortent du lot, comme Rescue, avec sa guitare andalouse et sa batterie ronflante, ou encore Judgement, présentant de nombreux thèmes vocaux, la présence d'un hautbois apportant une touche originale, tandis que les claviers reproduisent de manière impressionnante l'orchestre symphonique. Dans la même veine, on notera également les dynamiques Confrontation et Cursed.
Et pourtant, rapidement le doute s'installe dans la tête du fan des productions nolanesques qu'est votre serviteur : cet album est beau, superbement produit, magnifiquement interprété, on en prend plein les oreilles … mais … Mais quoi ? Difficile à dire ou à décrire, mais l'ennui s'installe insidieusement : manque de variété sonore, manque d'intermèdes instrumentaux consistants, longueur démesurée du concept, pas assez de guitare pêchue façon Lucassen dans le dernier projet Nolan/Wakeman et surtout une musique qui avoue son âge ! Celui d'or du néo-prog à la fin des années 90, mais qui depuis 10 ans, a pris un sérieux coup de vieux pour ceux qui n'ont pas choisi d'y apporter quelques touches nouvelles (tendance métal façon Porcupine Tree, ou plus progressive façon Magenta par exemple). Déception.
Alors au moment de passer à la notation de cet album, c'est un véritable cas de conscience qui se pose au chroniqueur pourtant ardent défenseur du style incriminé. Une décennie en arrière, un 9 aurait été un minimum. Aujourd'hui ? Attention, le tout reste de grande qualité, mais compte-tenu du background de son auteur, on peut se montrer un peu plus exigeant que pour le musicien lambda. Qui aime bien chatie bien…