Ah, Emerson, Lake and Palmer ! Le groupe qui m’a amené au prog ... Ce trio anglais, c’est d’abord la rencontre de trois personnalités, un claviériste un brin mégalomane qui a auparavant tourné avec un groupe fusion (The Nice), un chanteur-bassiste à la chaude voix, co-fondateur de King Crimson, un des piliers de la création du mouvement prog, et un batteur virtuose considéré par les critiques comme l’un des plus musiciens de sa génération. Les années glorieuses, ce sont 1970 - 75, avec pour point d’orgue la sortie du fameux live “Welcome Back ...” qui est resté dans les mémoires. En 1978 donc, le groupe est sous contrat avec le label Atlantic et il lui reste un album à sortir pour se “libérer” : ce sera Love Beach, un disque de commande qui vient après les démesurés “Works” et le live dont nous avons parlé plus haut. Qu’attendre de cet album après les expérimentations des précédents ?
Les fans seront d’abord intrigués par la pochette, un modèle de kitscherie douteuse où notre joyeux trio pose en tenue Club Med’ sous les spots devant un arrière plan de palmiers. Associée au titre ringard (Plage d’Amour), cette prise de contact inspire la méfiance la plus circonspecte. Comme le fan est méticuleux, il se penchera sur les détails de distribution : une face (version vinyle) pour Greg Lake, où presque toutes les paroles sont co-signées de Pete Sinfield (déjà à l’œuvre entre autres sur "Brain Salad Surgery"), un seul titre associant les trois membres du combo à l’écriture (The Gambler), et une “suite” emersonnienne sur la face B. Apparemment, la fusion entre les trois participants est assez lâche sur cet album, mais après tout, c’était le cas sur “Works I”.
Mais, foin d’analyses préalables, le fan se met en place pour l’écoute ...
41 minutes plus tard, le fan, désespéré, range le disque dans sa pochette. "Love Beach" est l’exemple très abouti d’un plantage quasi-total.
Sur “ses” titres, Greg Lake a voulu jouer les crooners sans s’en donner les moyens ; sa voix a perdu sa principale qualité (la chaleur), les textes sont d’une pauvreté insondable (rien que les titres auraient dû éveiller notre méfiance : Tout ce que je Veux, C’est Toi - Plage d’Amour - la Saveur de mon Amour - Pour toi : en Français, ça fait peur !). Et les mélodies, d'une platitude affligeante, ne font rien pour réhausser le niveau. Tout au long de l’album, Carl Palmer est quasiment aux abonnés absents : sa partition est ridiculement rapide sur Taste Of My Love, le plus souvent plate, bref à des lieues de l’imagination dont il sait habituellement faire preuve. Quant à Keith Emerson, s’il apporte plus de profondeur à ses constructions musicales, il parait bien scolairement appliqué (les gammes de Love At First Sight) et ne nous laisse que des ébauches de soli de synthé (quelques mesures dans The Gambler, quelques miettes au début de Letters ...). C’est très, très peu.
Que sauver de cette déroute ? L’instrumental Canario, adapté de Joachim Rodrigo, honnête mais sans plus. Un peu de plaisir de jouer sur The Gambler et des bribes de l’esprit ELP dans Letters. "Love Beach" est un disque fantôme, déserté par une production qui a gommé toute profondeur de son (où sont les basses ?). Bref, une tache sur l’image d’un groupe qui a pourtant énormément apporté dans le prog, notamment pour les claviers...