Monsieur le Président de l’Académie de Musique, Mademoiselle la Secrétaire, chers Collègues de l’Académie, bonjour.
Nous sommes réunis ce soir pour traiter du dernier album de George Bellas. Pour ceux qui ont eu l’amabilité de parcourir mon billet paru précédemment au sujet de l’album "Flying Through Infinity" du groupe Palace Terrace, ceux-là savent que Bellas est un guitariste que ceux qu’on appelle métalleux décrivent comme un amateur de shred, technique de jeu guitaristique visant à enchaîner les séquences de notes très rapides. George Bellas prodigue d’ailleurs moult leçons de guitare via son site, certaines s’appuyant sur des partitions classiques comme les Caprices de Paganini, c’est dire si notre homme se pique de chercher à concilier technique et références classiques.
C’est donc en solo cette fois que George Bellas nous livre ce Planetary Alignement. En préparant cet exposé, j’ai réécouté - avec un certain plaisir, je dois l’avouer - le "Flying Through Infinity" et me suis remémoré les quelques critiques que je m’étais permis d’émettre, notamment la tendance à tirer les soli de guitare vers un côté par trop démonstratif tendant à estomper l’émotion suscitée. Cet écueil a-t-il pu être contourné dans cette nouvelle élaboration ?
Disons-le tout net, chers Collègues, non. Si l’honnêteté m’oblige à reconnaître les éminentes qualités techniques de l’opus, la technicité l’emporte dramatiquement sur l’exaltation. Et pour ma part, je reste perplexe sur le parti-pris revendiqué par le compositeur qui consiste à initialiser les morceaux - c’est le terme de l’auteur - en posant d’abord uniquement les motifs rythmiques (très complexes, nous en reparlerons), puis en apposant par dessus les éléments harmoniques et mélodiques. Ainsi décrite, la Musique apparaît comme un mécano que l’on assemblerait vis après écrou, faisant fi de l’Inspiration, cette muse guidant les compositeurs ...
Dès lors, et de façon surprenante, deux sentiments s’opposent à l’écoute de "Planetary Alignement". Les chercheurs et autres amateurs de technique pure pourront s’esbaudir devant les rythmes alambiqués, les percussions complexes, la virtuosité ébouriffante du guitariste, les imbroglios des partitions et autres démonstrations de maîtrise ... Hélas, les auditeurs désireux d’émotion rangeront leurs sentiments, car, je vous le demande, à quoi bon être noyés sous les déluges de doubles-croches, ensevelis sous les avalanches de séquences en 7/8, 5/4 ou 99/32, ou étourdis par des montées/descentes de manche si l’Emoi, le Frisson, la Sensibilité sont les grands absents de cette démonstration ? En vérité, chers Collègues, toute cette recherche technique aboutit à de surprenantes uniformités : uniformité d’ambiances, puisqu’il nous est donné d’entendre un accompagnement syncopé sur une rythmique complexe, quelques accords simples de claviers (généralement des sons apparentés au mellotron pour poser une atmosphère vaguement inquiétante) et une guitare shred ; uniformité des sons ensuite, malgré la liste impressionnante des guitares utilisées, le son produit étant à très peu de choses près toujours le même ; uniformité des rythmes, oui, chers Collègues, même des rythmes, car l’oreille se lasse de chercher à faire la différence entre tous ces rythmes impairs, s’égare dans les imprécises contrées de la monotonie et finit par se noyer dans la mare incertaine de l’ennui.
Alors, oui, je l’affirme, il faut s’inscrire en faux contre cette tendance qui cherche à mettre la technique tout devant le sentiment. La grammaire musicale n’est pas la Musique, et si Chopin ou Mozart sont restés plus célèbres que Czerny, c’est bien qu’ils arrivaient mieux à parler à nos sentiments.
Je reste persuadé que si George Bellas avait voulu ou su simplifier son propos, il serait arrivé à de meilleurs résultats. Ici, il ne laisse aucune note en paix, rattrapée par la suivante ou bien distordue par les effets. Aucun morceau lent, aucune rupture de rythme au cours d’un même morceau, parfois même pas de mélodie facilement identifiable ... seuls Overlapping Dimensions ou Gravitons arrivent à asseoir un impressionnisme plus palpable, grâce à une mélodie plus simplement exposée. Un groupe comme Osada Vida, par exemple, a su, sur des partitions pourtant pas simples d’accès, donner envie à l’auditeur d’approfondir ses écoutes pour pénétrer un univers intéressant. Ici, l’abus de technique conduit à la l'indifférence.
Aussi pour conclure, chers collègues, et pour paraphraser Rabelais qui écrivait “Science sans conscience n’est que ruine de l’âme”, je dirai que “Musique sans sentiment n’est que désagrégation de la pensée”. Merci de votre attention.