Voilà du prog instrumental – ou presque, puisque les voix semblent avant tout considérées comme des instruments à part entière – tel qu’on aimerait en entendre plus souvent. Birds & Buildings, le nouveau projet monté par Dan Britton, claviériste, guitariste et chanteur, tient ici toutes ses promesses en nous offrant un album aux confins du jazz-rock, du prog et du zeuhl, album qui développe pendant près de 70 minutes une musique très personnelle, complexe d’approche mais inscrite dans un ensemble de références la rendant plus abordable pour qui connaît ses classiques. Il est clair qu’à l’heure de l’uniformisation des cultures et de l’effacement des particularismes – y compris dans la musique progressive, qui malgré sa profonde diversité reste parfois liée à une multitude de codes et de lieux communs hérités de la grande époque des 70’s – , « Bantom to Behemoth » a de quoi surprendre ; surprise raisonnable néanmoins car le groupe n’appartient pas à l’avant-garde progressive et jazz que constituent ou constituaient des groupes comme Mr. Bungle, The Mars Volta, To-Mera ou encore Naked City. Surprise agréable au final, qui allie dépaysement, arrachement aux temporalité et spatialité traditionnelles, et recontextualisation historique, réintégration dans un temps musical bien connu des amateurs du genre, les années 70.
"Chronicle Of The Invisible River Of Stone", le cinquième morceau de l’album, est à cet égard un exemple frappant. Vous y croiserez, pour commencer, le Genesis de « Trespass » ou « Nursery Cryme », avant de rencontrez le King Crimson de « Lizard » puis de vous heurter, sur la fin du chant, au « Third » de Soft Machine. Autant dire que les plus grands sont tous présents ; et si c’est Van Der Graaf Generator que vous préférez, nous l’avons également en réserve avec le troisième titre, "Tunguska". Mais cette avalanche de références ne suffit pas à résumer le morceau. Comme l’indique le titre, c’est l’invisible qu’il faut chercher ici, et l’invisible d’un paradoxe, le fluide ("the river") associé au solide ("of stone"). De tels paradoxes n’éclosent qu’en rêve, et c’est bien ce qu’évoque le morceau : une longue rêverie aux accents alternativement pastoraux et lyriques, sublimée par la voix de Megan Wheatley, tissée d’arrangements acoustiques dont l’évanescente solennité est renforcée par l’utilisation de flûtes, saxophones et clarinette.
A l’opposé, le groupe est capable de nous proposer des morceaux beaucoup plus énergiques, basés sur des tempos assez rapides, où l’on retrouve toute l’inventivité légèrement torturée du jazz-rock associé au zeuhl. Ainsi débute l’album, et d’emblée l’auditeur est malmené par un tourbillon de sonorités s’émancipant parfois d’une grille harmonique en elle-même déjà dissonante. Les soli de saxophone sont légion et n’en restent pas aux sonorités traditionnelles de l’instrument, pour notre plus grand plaisir. "Yucatan 65" développe une atmosphère sensiblement identique, à ceci près que l’influence principale n’est pas tant le jazz que le flamenco ; aussi certains passages, dansant en diable, sont-ils tout simplement jubilatoires. "Battalion" représente le versant plus musclé de ces compositions, avec ouverture par un riff de guitare saturé porteur de la voix chaude, mais rauque et grave, de Dan Britton, motif que l’on retrouvera plus en avant, après une superbe partie instrumentale très jazzy où guitariste et saxophoniste font preuve de leurs talents de solistes.
Birds & Buildings nous propose donc là un album où la qualité des compositions n’est pas en reste face à la technique des musiciens, de très bonne tenue. Deux points faibles peut-être : la voix tout d’abord, qui pourra rebuter certains, car si elle reste juste, elle ne brille pas par la pureté de son timbre. Le mixage ensuite, honnête globalement, mais parfois un peu terne, notamment pour la batterie. Sans doute pourrais-je également reprocher à quelques titres une multiplication de sonorités diverses qui tendent à rendre le tout parfois confus, ainsi qu’une certaine monotonie due à l’utilisation de motifs sensiblement identiques dans des morceaux pourtant bien différents. Mais peut-être cette illusion cyclique est-elle volontaire, d’autant plus que la tonalité finale du dernier morceau est aussi celle qui ouvre l’album. Un album agréable donc, même si parfois complexe d’abord ; un peu de persévérance vous en révèlera les multiples charmes et ne vous fera pas regretter le temps passé à vous approprier l'excellente musique délivrée par le quintet.