Petit résumé de l'épisode précédent : Project Creation est le projet parallèle du multi-instrumentiste Hugo Flores, co-fondateur du groupe portugais Sonic Pulsar, qui produit un rock progressif très élaboré où se mêlent des éléments metal, planants, électroniques et même parfois quelques traces de jazz… Project Creation est encore plus épique et plus contrasté que SP, c'est pour dire ! Et Flores a eu la bonne idée de laisser les parties vocales à deux très bons chanteurs, Tiago "Lynx" au timbre versatile, souvent clair et puissant, et Alda Reis, une chanteuse à la voix angélique. Le projet a été mis sur pied pour développer un concept de science-fiction. Avec son premier album, "The floating world", Flores (au fait, aucun lien avec Daniel Flores du groupe Mind's Eye), désormais seul aux commandes avec une kyrielle d'invités, offrait une des belles surprises de l'année 2005. "The floating world" démarrait donc, de belle manière, une tétralogie articulée autour d'une histoire de "space opera"…
Voici maintenant le second volet de cette histoire. Encore une fois, il s'agit d'un album très long et très contrasté mais sensiblement différent du précédent, tout en conservant des repères aisément reconnaissables. En raccourci, "Dawn on Pyther" pourrait se classer dans un metal progressif atypique, complexe, aux arrangements inhabituels (pas mal de flûte et de saxo, parfois dans des morceaux dont certaines sections sont agressives, pourtant !). Globalement, la coloration est plus puissante, un peu plus agressive, avec des cassures assez brutales parfois. Un état de fait plus ou moins lié aux rebondissements de l'histoire développée.
On y retrouve à peu près la même équipe de musiciens avec quelques changements. La nouvelle venue principale est la chanteuse Zara Quiroga, à la voix claire mais nettement plus puissante que celle d'Alda Reis, que l'on peut encore entendre sur plusieurs passages plus calmes. Il y a aussi un autre chanteur, un peu plus typé metal que Tiago "Lynx" semble-t-il, Paulo Pacheco (les chanteurs ne sont pas crédités morceau par morceau, et leurs timbres ne sont pas radicalement différents). Flores a également recruté un batteur pour tous les morceaux, dont le son varie suivant les titres. On a droit au fameux son de caisse claire "façon casserole" sur deux des premiers titres, ce qui peut s'avérer irritant si on y prête trop d'attention. Sur le reste, c'est un son alternativement sec et vaguement synthétique ou lourd et plus classique. Vaco Patricio est toujours là pour quelques brillants soli de guitare. Pas moins de deux guitaristes s'invitent ici et là (soli de guitare électrique et classique). Shawn Gordon, le patron de ProgRock Records a lui aussi mis la main à la patte en insérant deux soli de synthés sur deux titres. Au moins, on ne peut pas dire que le label ne soutienne pas son poulain !
La musique de Project Creation n'est globalement pas facile à suivre. Ce serait une grossière erreur que de faire jouer ce CD en fond sonore. Par contre, lire les textes en se passant l'album au casque permet d'en apprécier toutes les subtilités. On retrouve ces sonorités de synthés ultramodernes et cristallines qu'affectionne particulièrement Hugo, mélangées aux guitares, souvent très lourdes, parfois très claires, avec la présence inhabituelle d'un saxophone et de flûte au milieu de tout cela.
Les titres de ce nouvel album sont globalement plus longs (beaucoup frôlent les 10 minutes) et dire qu'ils contiennent beaucoup de changements de rythme et de mélodies est un euphémisme ! En fait, parfois, il y a en a trop. Beaucoup de tempos moyens à la base, pesants, archi-puissants. Les atmosphères musicales suivent les textes et disons que cet album, qui contient aussi un peu plus de textes que le précédent, est riche en action ! Une musique de fond pour un "péplum space opera", voilà à quoi fait penser "Dawn on Pyther". Des tonnes de thèmes très majestueux, voire grandiloquents, des riffs puissants – quelquefois dissonants, hélas –, des vocaux masculins et féminins, parfois à l'unisson.
Les trois premiers titres, qui totalisent près d'une demi-heure contiennent quelques sections plus calmes aux textures de claviers éthérées, mais sont globalement grandioses, avec plusieurs mélodies fortes. Cependant elles peuvent finir par submerger l'auditeur car il faut attendre la première partie éthérée et cristalline de "dragonfly garden" pour avoir l'occasion de souffler quelques minutes. Cette dernière propose en effet un moment d'accalmie personnalisé par la voix superbe d'Alda Reis avant de décoller sur une partie instrumentale plus puissante. Et "The voice of Cheops" qui suit sur 10 minutes, a beau partir calmement, et contenir de belles envolées de synthés, on évolue à terme vers une partie plus lourde au rythme haché (dommage que la batterie sonne de manière synthétique sur ce morceau, d'ailleurs). Le très planant et trop court "Intermission" nous permet de souffler une nouvelle fois avant que "Sons of the stars" ne marque un tournant vers une ambiance épique et majestueuse, comportant une coloration plus ou moins folk, rompue par des soli de guitares majestueux, mais aussi par une courte partie dissonante dont on se serait passé. Après une des très rares interruption dans ce flot musical, "Growing feeling" laisse encore une belle part aux synthés cristallins et à des vocaux féminins entrelacés de Zara, soutenus par une basse grondante et des guitares saturées pleines de réverbe. Le morceau évolue par la suite vers une ambiance fiévreuse, presque mystique, en restant mélodique. Sûrement un des sommets de l'album. "Voyage of the dragonfly" (en trois parties) alterne moments calmes et pastoraux et riffs ultrapuissants, pour s'achever sur un instrumental apaisé, arrangé pour claviers et flûte. Enfin, c'est le crépuscule ("Dusk") sur la planète Pyther, un morceau à mon avis décevant car étant aux deux tiers calme et pastoral, il s'achève par une section très hachée, brutale, frénétique et au final peu accessible.
Contraste, c'est le maître mot de cet album, qui se révèle parfois un peu éprouvant à écouter d'une traite. Les parties les plus saccadées et dissonantes ont beau ne pas être trop longues, elles surgissent dans plusieurs morceaux de façon incongrue et ne seront pas du goût de tous, surtout ceux qui n'attachent pas une importance majeure au concept lui-même et à l'histoire développé dans les textes. Pourtant Dawn on Pyther recèle aussi des moments magnifiques. Espérons que Hugo Flores reviendra à une musique peut-être un peu moins torturée et plus accessible sur le prochain volet de son concept.