Thin Lizzy a très souvent dû composer avec les allers et venus de ses guitaristes. En juin 1974, Bell avait été remplacé par Robertson qui avait laissé sa place en décembre 1976 à Moore. White avait assuré la succession de ce dernier en 1980 pour laisser finalement s’installer Sykes en 1982… Pas simple de gérer ces mouvements, surtout pour un groupe au sein duquel les guitares sont prépondérantes.
Chinatown , qui nous intéresse aujourd’hui, pointe sa jolie pochette dans les bacs en 1980. Elle est signée Jim Fitzpatrick un artiste irlandais grand ami de Lynott et déjà auteur, entre autres, des visuels de Black Rose, Johnny The Fox, Jailbreak, Vagabonds Of The Western World et Nightlife. La pochette avait attiré les regards, le disque a quant lui attiré les foudres de la presse Rock, et on continue à voir traîner aujourd’hui, ici et là sur le net, des écrits sentencieux de pseudo chroniqueurs à un balle (pire qu’à deux balles donc) qui, au travers d’une chronique de trois lignes fracassent allègrement l’œuvre en question pour des raisons qu’eux seuls comprennent lorsqu’ils se les récitent le matin devant leur psyché (miroir, mon beau miroir…) de 50 centimètres (…hé oui, ils sont tout petit ces gens-là). Foutaises !...
Chinatown est un bon disque, il a juste le défaut d’être paru entre Black Rose et Renegade qui sont des productions plutôt énormes. Du coup, ses petits moments de faiblesses disséminés par ci par là (un peu moins de mélodies marquantes, un peu moins de richesse d’arrangements, pas d’énorme titre phare), le rendent un tantinet moins attractif. Mais oublions donc les mesquins de la plume, faisons confiance à nos oreilles et, la tête dans « le sac à poussière » comme disait Tonton Zégut, analysons cet opus des irlandais, car nous avons là un bel ouvrage. En effet que demandons-nous à une œuvre de Thin Lizzy amis Hard Rockers en fin de comptes ?...
Des soli enchanteurs ?...Alors vous serez émerveillés par ceux de Chinatown, d’Hey You, de Killer On The Loose, de We Will Be Strong, de Sweet Heart et d’Having A Good Time.
De l’émotion ?....Hé bien vous serez ensorcelés par la sensible ballade Didn’t I.
Des riffs énergiques ?... Soyez tranquillisés, ceux d’Hey You vous feront vibrer, tout comme ceux de Killer On The Loose, de Chinatown et de Genocide.
Des mélodies ?... Alors profitez du magnifique We Will Be Strong, du final fabuleux d’Hey You, du charmeur Having A Good Time et des couplets de Genocide.
Des sonorités irlandaises ?...Soyez rassurés, vous serez victimes des ensorcelants thèmes en arpèges de Sweet Heart, de Didn’t I et de We Will Be Strong.
Du Blues ?... Alors Sugar Blues ne pourra que vous ravir.
De la batterie qui sait ne pas être mièvre ?...Parfait, soyez prêts à encaisser en plein thorax les beats de Chinatown, Sugar Blues, Sweet Heart et d’Hey You.
Des chœurs entraînants ?...Hé bien vous entonnerez immédiatement ceux de Sweet Heart, d’Hey You et de We Will Be Strong.
De la basse ronflante ?... Alors écoutez-là vrombir sur Sugar Blues, Having A Good Time, Killer On The Loose et Hey You.
Pour ceux qui souhaiteraient quelques informations sur les préoccupations de Phil Lynott à cette époque, voilà le petit bulletin de santé habituel du frontman (que connaissent bien les adeptes des chros de Lizzy sur MW). Une fois de plus la drogue est présente dans les textes, Sugar Blues en positive les effets d’ailleurs : "sugar, won't you add a little sweetness to my life" (vraiment à l’ouest ce pauvre Phil…) et la joie de vivre ne semble pas au rendez-vous, notamment à l’écoute de Hey You qui traite de l’expatriation citadine ou de Didn’t I empli de regrets. Cependant, Having A Good Time, où le chanteur nous présente en plein break ses musiciens et se tape quelques délires humoristiques sur le final, nous laisse à penser que le moral n’est pas au plus bas. L’envie de lutter et le sentiment de confiance que reflète We Will Be Strong et la critique virulente du massacre des bisons qu’est Genocide nous rassurent, le guerrier est encore debout. Il vacille, mais il se bat encore.
Voilà donc une œuvre de la bande à Phil qui mérite le déplacement (des conduits auditifs). Certes nous ne sommes pas face à leur meilleur disque, mais la griffe est bien là. Les amoureux du style y trouveront leur compte et arpenteront bien volontiers les sillons de Chinatown.