Dornenreich a toujours cherché à produire une musique sortant résolument des sentiers battus. Après avoir exploré les possibilités d’un black métal folk parfois réjouissant, le groupe s’était tourné avec « Hexenwind » et plus encore « Durch Den Traum » vers des compositions plus apaisées, déployant de multiples ambiances aux accents très atmosphériques. « In Luft Geritzt » prend acte d’une nouvelle évolution du duo, qui propose cette fois-ci un album entièrement acoustique, où les paroles psalmodiées par Eviga se posent sur les développements rythmiques et mélodiques de la guitare et du violon associés. Un concept post-black métal qui s’étend sur dix morceaux et prouve l’originalité assumée des deux compères ; mais est-ce suffisant pour réaliser un album dont l’auditeur – et le chroniqueur – ne ressorte pas légèrement ennuyé, car conscient de la (relative) qualité de l’objet mais déçu par sa monotonie ?
Annonçons d’emblée la couleur : pour ma part, suffisant, ça ne l’a pas été. Chaque morceau ressemble à s’y méprendre au précédent : guitare nerveuse et hypnotique, violon mélodique et sautillant, voix rageuse et chuchotée, puis rupture en arpèges pour soutenir un violon plus mélancolique, avant un retour sans surprise à la case départ. Pas de quoi fouetter un chat… Il serait absurde pour autant d’affirmer que l’écoute n’est pas agréable, tant la technique du violoniste est irréprochable, tandis que le guitariste maîtrise à merveille l’art des nuances. Par ailleurs le chant, empruntant à la langue de Goethe des sonorités qui, contrairement à ce qui est trop souvent dit, ne rebutent ni par leur dureté ni par leur pesanteur, s’avère être une réussite et s’accorde parfaitement à la mélancolie des thèmes mélodiques.
En fait, les Allemands nous proposent même quelques compositions fort attachantes, dans la deuxième moitié de l’album surtout. "Flügel in Fels", chanson portée par des thèmes fort mélancoliques, illustre parfaitement ce que peut être en musique la réponse à la thématique baudelairienne de "l’invitation au voyage". L’aridité de la rythmique assurée par la guitare est sans cesse compensée par la douceur, la rondeur du violon, qui convie l’auditeur – devenu entre temps spectateur, car le duo sait parfois créer des images à partir des sons – à un long périple initiatique dans l’ouate tristement moelleuse des cheminements oniriques. Il faut également signaler le morceau "Dem Wind geboren", dans lequel il est possible de retrouver un même lot d’émotions, construites autour de la symbolique de la liberté, de l’absence de liens physiques avec la pesanteur qui incombe à l’élément terrestre et dont seul le souffle victorieux des alizés peut nous délivrer ("Dem Wind geboren" signifiant, sauf erreur de ma part, "Né du Vent").
Mais la qualité de ces deux morceaux ne parvient pas à faire oublier que les huit autres titres auraient pu assez facilement être fondus en un, au pire deux. A moins d’y prêter une oreille distraite, cet album ne s’écoute pas d’une seule traite ; et, vous l’aurez compris, ce n’est pas sa complexité qui interdit pareil mode d’appréhension, mais plutôt l’absence presque totale de surprise, de renouvellement – et au bout du compte, d’émotion, tant il est vrai que celle-ci perd sa force dans le ressassement – , induisant fatalement ennui et monotonie. Un album à ne conseiller qu’aux inconditionnels du duo, donc ; pour les autres, préférez-lui par exemple le groupe Hostsonaten, qui dans un style certes très différent, mais néanmoins largement acoustique et teinté de mélancolie, saura sans doute autrement vous toucher…