Il aura fallu attendre 5 ans pour que sorte le 6ème album de No-Man, le duo formé par Steven Wilson, bien avant Porcupine Tree, avec le chanteur Tim Bowness et de nombreux invités dont certains récurrents, comme le violoniste Ben Coleman. Et dire que c'est No-Man qui semblait le groupe destiné à avoir le plus grand succès commercial, tandis que PT était une sorte de projet parallèle afin d'explorer les aspects plus expérimentaux de son inspiration !
Néanmoins, il est vrai que depuis les premiers singles et EP de 1991, la musique a bien changé. Finis les éléments dansants et technoïdes qui contrastaient avec l'expérimentation sonore et la pop sombre et mélancolique dont Bowness est friand. La musique a pris un tournant plutôt ambiant / post rock depuis le précédent CD, le très mélancolique et très beau "Together We're Strangers".
"Schoolyard Ghosts" démarre par une très belle ballade mélancolique, "All Sweet Things", menée essentiellement par le piano avec guitare acoustique, mellotron et d'autres textures synthétiques superbes, puis une guitare électrique aux sonorités éthérées. Voici un long morceau de près de 7 minutes, chanté avec beaucoup d'émotion et de tendresse par un Tim Bowness peut-être plus inspiré que jamais. Bon, nous nous passerions des quelques dissonances de la fin, mais c'est à 98% une pièce splendide et très accessible, un des meilleurs morceaux composés par le duo.
L'album recèle d'autres perles mais chacune dans un genre légèrement différent. "Schoolyard Ghosts" est un album cohérent, qui lorgne vers une pop ou un post-rock planant, mélancolique, parfois minimaliste, avec par endroits un certain côté progressif. C'est notamment le cas sur "Truenorth" qui frôle les 13 minutes et se décompose en 3 parties. La première, interprétée majoritairement au piano dont les échos retentissent à l'infini avec une belle orchestration de cordes et de synthés, rappelle sensiblement les compositeurs minimalistes comme Philip Glass ou Wim Mertens. La seconde fait intervenir les guitares en plus, mais les cordes angéliques sont plus planantes que jamais tandis que les chœurs de mellotron, qui se rajoutent au chant habité de Tim Bowness, nous font voir un petit coin de Paradis. Ceci avant que Theo Travis ne décore le morceau de volutes de flûte vaguement jazzy, qui contrastent en douceur avec l'orchestration plus classique, tandis qu'une batterie électronique ou une boîte à rythme fait son entrée pour la dernière partie instrumentale, hypnotique et mélancolique à la fois. Une suite qui vous transporte dans un monde irréel.
Comme à l'habitude chez No-Man, le duo Bowness/Wilson est rejoint par de nombreux invités (Theo Travis revient sur deux autres morceaux, à la flûte) mais les parties rythmiques sont très restreintes, et le plus souvent c'est sur les claviers, les guitares (acoustiques et électriques) et le chant que reposent les arrangements, avec un peu de flûte, de trompette, de violoncelle ou quelques orchestrations de cordes, suivant les morceaux.
"Pigeon Drummer" est le seul titre dont l'un des thèmes est ouvertement percussif et étonnamment tendu, voire brutal, le reste étant nettement plus doux et aussi beau que tristement planant. Mais lorsque la batterie de Pat Mastelotto explose, avec des guitares au son complètement saturé, on pense un peu au Peter Gabriel des années 81/82, froid et oppressant. Un morceau au contraste saisissant, qui n'est pas sans rappeler ce qu'aime faire Wilson dans Porcupine Tree ces dernières années. Cet intermède plus surprenant mis à part, le duo ne se départit pourtant pas souvent de son côté très mélancolique et planant. Ainsi, après le très long "Truenorth", nous nous attendions à un morceau un peu plus enlevé. Et pourtant, l'intimiste "Wherever There Is The Light" vient nous saisir avec ses orchestrations de synthés émouvantes, complétées par une pedal steel guitar aérienne qui se détache, avec la flûte, sur le fond de choeurs synthétiques angéliques. Certes, ce n'est pas le genre de musique à vous mettre au réveil pour vous donner plein d'entrain mais, en même temps, quelle merveilleuse illustration sonore pour un lever de soleil radieux au printemps. "Beautiful Songs You Should Know" (avec Colin Edwin à la basse) et "Streaming" sont des titres ramassés, plus acoustique pour le premier, mélange de textures orchestrales et de percussions électroniques avec des "scratches" pour le second. Deux pièces un peu moins marquantes que les points forts cités plus haut mais néanmoins très réussies.
Deux des trois derniers morceaux de l'album font davantage intervenir les guitares électriques, sans pour autant décoller sur le plan rythmique, sauf vers la fin lumineuse de "Song Of The Surf". C'est d'ailleurs un point faible que de n'avoir pas inséré un autre morceau peu être un peu plus enlevé ou disons plus contrasté. "Mixtaped" qui dépasse les 8 minutes et sert de final est moins inspiré mélodiquement parlant, statique, hypnotique, avec une guitare électrique au son assez grinçant par moments et une batterie qui semble improvisée, un rien erratique. On attend une véritable envolée qui ne viendra jamais. Une conclusion pas déplaisante mais longuette et quelque peu décevante pour un album par ailleurs très inspiré sur le plan mélodique, remarquable de sensibilité et dont les arrangements sont faussement simples, changeants et pétris de trouvailles sonores et de finesse.
Un disque ainsi essentiel pour tous ceux qui savent apprécier les ambiances feutrées, à la fois planantes et intimistes, les textures sonores brumeuses mais aussi inattendues.