Il y avait 4 ans déjà que Patrick Rondat en avait parlé et il en aura fallu trois pour que cet album soit enregistré et enfin, une de plus pour qu'il sorte ! Travailler sur de la musique classique, pour un virtuose de la guitare électrique, ce n'est pas vraiment une première, même si cela reste souvent confidentiel. D'autres l'ont déjà fait, plus ou moins occasionnellement, de Blackmore à Uli Jon Roth en passant par Alex Masi (plus souvent sur des guitares acoustiques !) et Tony McAlpine. C'est surtout un projet périlleux. Mais un duo piano/guitare électrique sur toute la longueur d'un album, cela ne s'était par contre jamais fait - à ma connaissance. Telle est l'idée originale réalisée par Patrick Rondat, auteur de 5 albums instrumentaux en studio et d'un live (sans parler de ses contributions aux concert de Jean-Michel Jarre, sa participation à Elegy avec Ian Parry, etc.) et le pianiste classique Hervé N'Kaoua dont la carrière de concertiste est déjà bien remplie.
Patrick est un perfectionniste dans l'âme et Hervé un pianiste classique également à l'aise dans les répertoires plutôt traditionnels et ceux plus modernes... Il a probablement fallu aux deux hommes bien des mois de travail, de répétitions, (sans parler des quelques concerts donnés depuis leur rencontre) pour venir à bout de cet album de musique classique réarrangée d'une façon inédite.
Le choix de Hervé et Patrick s'est porté en grande partie sur des pièces de type sonate pour piano et violon, où la guitare a évidemment remplacé le violon. On retrouve pas moins de 5 mouvements de telles sonates de jeunesse de Beethoven, qui sont rassemblées au centre de l'album, entre 2 séries de titres de Vivaldi, un morceau de Fauré, un de Kreisler et le célébrissime thème du "Mariage de Figaro" de Mozart, placée en ouverture.
Côté Vivaldi, il a fallu adapter davantage qu'avec une sonate puisqu'il s'agit de 4 mouvements des "Quatre saisons" : l'ensemble du 4ème concerto, "L'hiver" et le célébrissime "Orage" extrait du concerto "L'été". D'accord, Rondat en avait déjà fait une adaptation il y a bien longtemps sur "Amphibia". Néanmoins, outre le fait qu'il s'agit d'une pièce fantastique et souvent réclamée par ses fans en concert, c'était ici l'occasion d'en donner une autre lecture, plus nuancée et pleine de finesse dans un arrangement nettement plus sobre et finalement plus fidèle à l'original.
Le duo a habilement équilibré les moments enjoués et ceux plus mélancoliques, mais globalement, il se dégage de cet album une atmosphère plus légère que solennelle. Certes, "l'Hiver" n'est pas particulièrement joyeux mais pas lugubre non plus. Et il s'agit d'un des joyaux de l'œuvre injustement décriée du compositeur italien, peut-être le plus beau et le plus original des quatre concertos. Un autre moment particulièrement magistral est l'allegro de la sonate n°3 de Beethoven… si vous ne croyez pas le connaître, détrompez-vous : ainsi que bien d'autres pièces de Beethoven, vous l'avez entendu un jour ou l'autre ! Pendant plus de 8 minutes les deux hommes concilient virtuosité, lyrisme, ambiances pastorales, sections apaisées et décollages tout en finesse avec beaucoup de brio. L'andante de la sonate n°2, au thème assez connu lui aussi est plus mélancolique, tout en retenue et en délicatesse, et ce n'est pas le plus facile à jouer pour la guitare. C'est à une autre forme de complexité que se heurte Rondat, celle de l'expressivité, et il s'en sort fort bien.
Peut-être moins connues, les pièces de Fauré (allegro de la sonate en la majeur, qui lui aussi a été quand même utilisé par les réalisateurs de films) et de Fritz Kreisler (très connu comme un violoniste virtuose de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle) n'en sont pas moins agréables. Sur le Prélude de Kreisler, l'atmosphère mélancolique et émouvante du début laisse la place à un thème plus joyeux et à un rythme plus sautillant, avec notamment un passage soliste grandiose pour la guitare vers la fin. Enfin Fauré, pour une fois assez joyeux, aussi versatile qu'enlevé, conclut l'album dans un tourbillon de guitare.
L'enregistrement est particulièrement exceptionnel puisque marier ces deux timbres assez différents n'était pas chose aisée. Et pourtant la guitare électrique, moins saturée et plus douce que d'habitude, n'écrase pas le piano, même si elle joue peut-être davantage de parties solistes sur l'ensemble. En fait "Rondat – N'Kaoua" est un disque de musique classique presque pure, avec seulement un instrument plus moderne.
Cet enregistrement particulièrement original devrait ainsi rassembler les amateurs de classique intelligents et pour ceux qui sont plus axés vers le rock, c'est peut-être l'occasion de découvrir un autre aspect du classique, pas spécialement celui plus symphonique qui a déjà connu pas mal d'adaptation dans le metal ou le rock progressif, mais celui de la musique dite "de chambre" qui peut se révéler tout aussi intéressant. En tout cas, il convient se saluer l'effort courageux des deux hommes, qui ont évité la facilité.