Sur le papier, Damon Shulman a tout pour lui. Distribué par Alucard Music, le label créé pour commercialiser les albums du groupe mythique de rock progressif Gentle Giant, il est aussi le fils et le neveu de, respectivement, Phil et Ray Shulman, anciens membres du groupe pré-cité. Il a d’ailleurs bénéficié sur cet album, « A Brief Moment of Panic », de la collaboration de son oncle, qui en a réalisé le mixage. Autant dire que chez les Shulman, la musique est d’abord une histoire de famille… et comme Damon n’est pas ingrat, Gentle Giant, Phil et Ray sont en bonne place au rang des influences citées. Tout cela est bien plaisant me direz-vous, mais qu’en est-il de la musique ? A l’instar de ses glorieux aînés, Damon Shulman sera-t-il la révélation prog de cette première décennie du XXIe siècle ? Au risque de décevoir, la réponse est immédiate, et catégorique ; et elle est négative.
Du reste, il n’est pas vraiment difficile de s’en persuader. Le premier titre, tellement pompé sur le Zappa de « Over-nite sensation » qu’il en devient indécent, s’en chargera aisément. A moins de ne jamais rien avoir écouté du Grand Maître (qui est à Shulman ce que le champagne est au Coca), il est impossible d’apprécier pareille resucée, douze crans en-dessous de l’original et, c’est le comble, sévèrement anachronique. Et ce n’est pas le deuxième titre qui viendra nous rassurer, puisque là encore, la référence à Zappa est omniprésente, mieux digérée sans doute et, soyons honnête, assez bien intégrée dans une composition aux accents jazzy du plus bel effet. Finalement, c’est surtout la voix qui, sur une bonne partie de la galette, souffre d’un excès de citation tournant à l’avantage du référent et non de l’impétrant.
Car dans l’ensemble, l’album aurait pu ne point être désagréable. Varié, éclectique, puisant aussi bien aux sources du funk, du jazz que du rock progressif, il y avait là de quoi façonner un bel objet musical. Trois morceaux viennent d’ailleurs nous confirmer la présence d’un potentiel réel chez Damon Shulman. Ils forment la colonne vertébrale de cet album, puisqu’il s’agit des titres "Pleasure", "She Fades Away" et "Soul Seek Rebellion". Le même souci mélodique les traverse, une égale puissance lyrique (impulsée, et c’est une bonne surprise, par une voix nettement plus personnelle) s’en dégage, et si les arrangements restent simples, il faut signaler l’importance de la basse, agréablement groovy par instants, de même que le travail aux claviers, inducteur de ruptures et de petits délires harmoniques qu’il est regrettable de ne pas retrouver dans les autres morceaux. "Soul Seek Rebellion", la pièce centrale d’un album qu’elle domine du haut de ses 9 minutes, est sans conteste une honnête composition progressive, rafraîchissante et rythmée, ornée de soli délicieusement surannés aux claviers.
Pour le reste, force est de constater que la sauce ne prend pas. Malgré d’indéniables efforts de diversification – ou de diversion, c’est selon, car il est possible de se demander si la coloration majoritairement jazzy de l’album n’est pas plus un cache-misère qu’autre chose – il n’est rien qui retienne véritablement l’attention. Entre Zappa et la musique d’ascenseur, il y avait un large fossé, que Damon Shulman a franchi sans même y prendre garde. Ç’eut pu être audacieux, intrépide même ; c’est juste soporifique. Lorsque vous vous réveillerez, prenez un bon café puis allez plutôt voir du côté de Beardfish (par ailleurs chroniqué dans nos pages), qui saura j’espère vous réjouir de plus belle façon que ce « Brief Moment of Panic », dont la brièveté n’est pas l’une des moindres qualités…