En route pour le Chili, pays connu pour son ancien général, son plat de viande avec des haricots rouges et sa particularité géographique d'être long comme un jour sans musique (4.300 km quand même !). C'est de Valdivia au Chili, donc, que nous vient "La Desooorden" (ce n'est pas une faute de frappe, il y a bien 3 'o' consécutifs).
Fondé en 1994, La Desooorden travailla son art en changeant régulièrement de formation jusqu'à sortir, en 2001, un CD résumant cette période, " El Mounstruo de 7 Cabezas", contenant une musique faite de folklore chilien, de Jazz et de Rock. Un melting pot original qui peut plaire ou repousser, selon la qualité des dosages. Un second disque sortira en 2002, "Ensayo", avec une tournée chilienne à la clef. En 2004, avec des subventions locales et leur talent, "La Desooorden" concocte un concept-album sur un événement historique chilien du début du 20ème siècle, la mort de 200 personnes sur une île du sud du pays. Il s'agit de "La Isla de los Muertos". Les nombreux encouragements locaux (subvention, on l'a vu, mais aussi diverses récompenses, tournées en Argentine réussies…) ont permis à ce groupe d'acquérir une renommée hors des frontières sud-américaines. Leur CD suivant, "Ciudad de Papel", est d'ailleurs parvenu chez nous en même temps que celui-ci, et est chroniqué par ailleurs par notre Tonyb national.
La musique de nos amis chiliens est toujours un bon mélange de Rock Progressif et de folklore chilien. La langue espagnole utilisée ici n'est pas, loin s'en faut, un handicap. Elle colle parfaitement à l'ambiance, et transmet le pathos différemment de l'anglais fréquemment utilisé dans ce genre de musique. Vous trouverez parfois dans ce disque du King Crimson parfaitement assimilé, jazzy à souhait, dans lequel vient s'immiscer une touche folklorique du plus bel effet ("Algo Tenia Que Ver la Luna"). Mais il ne s'agit pas d'un ajout sur une base donnée, mais d'un style à part entière. De même, les passages plus rock, proches aussi de King Crimson période "Lark's Tongue in Aspic" ou "The Wake of Poseidon", sont néanmoins bien personnels. La présence d'un saxophone ajoute à cette similitude de style avec le Roi Cramoisi. Vous aurez parfois le sentiment d'entendre "La Mano Negra", ce qui n'est finalement pas choquant, le style et la langue y poussant largement.
Le violon, vecteur d'émotion s'il en est, amplifie l'aspect dramatique de l'histoire contée ici. Il est présent dans de nombreux titres dont l'introduction ("Transformacion del Mito"), "Pero Dios los Visita de Vez an Cuando" ou encore " Caleta Tortel". Si vous aimez les passages plus musclés, "Me Pregunto Entre Todas las Preguntas", par exemple, devrait vous combler. Le seul problème de ce titre est sa trop courte durée, frustrante. Mais quelle énergie, quelle montée, quelle guitare !
Le traitement des voix est intéressant sous divers angles. La langue, moins coulée que l'anglais, apporte du relief et le chant, fréquemment utilisé notamment avec les 2 chanteurs titulaires, de l'harmonie. "Pardos Fueron Frente al Mar" en est un bon exemple. Ce morceau est d'ailleurs une petite perle de Rock Progressif, à laquelle il ne manque peut-être qu'une once de production un peu plus riche pour atteindre des sommets.
Il ne faudrait pas oublier de parler de l'enchaînement des titres 4, 5 et 6. Une parfaite construction progressive qui constitue un sommet dans ce concept.
En résumé, "La Desooorden" nous propose une musique aux ambiances variées, influencée par King Crimson, avec l'apport de la culture chilienne. Cet album auto-produit ne marche pas dans les pas de ses prédécesseurs, il crée un nouveau chemin avec des repères pour que ceux qui l'emprunteront ne se perdent pas. J'ai abordé ce disque avec circonspection, le Chili n'étant pas le berceau du rock, encore moins celui du rock progressif, et j'ai été agréablement surpris, même si certains temps morts affaiblissent la note d'un point. L'art a son langage, la musique son dialecte, l'émotion ses fluides. Et peu importe qu'ils soient d'Angleterre, de Suède, de Pologne ou du Chili...