Une ville de papier … un papier qui serait forcément transparent et poreux, laissant filtrer une multitude d'influences musicales qui se retrouveraient concentrées, fusionnées dans les compositions de ce quatrième album des chiliens de La Desooorden.
La liste des instruments utilisés donne une première approche : aux côtés de la fanfare rock traditionnelle, on retrouve pêle-mêle un trio de saxos, un ocarina en écho, violon et ebow (une bière bien fraîche au lecteur qui trouve la traduction !), du didgeridoo, du trutuca (probablement un objet local !), une tronçonneuse (sic ! … à moins d'une erreur de traduction de ma part), auxquels mes oreilles y ajouteront de la guimbarde (lames vibrantes que l'on fait résonner dans la bouche). Cette liste digne d'un bazar de l'hôtel de ville local ne présente toutefois qu'une vision partielle du véritable melting-pot dans lequel nos sud-américains vont nous engloutir durant une grosse heure.
La première pièce va poser les bases de ce méli-mélo musical : après une ouverture au violon sur fond de basse et percussions tribales, les saxophones mélancoliques de Peter Pfeifer vont apporter une couleur sud-américaine, avant que la sauce ne monte progressivement par l'intermédiaire de guitares en fusion, opérant en alternance avec des parties chantées plus calmes. Ciudad de Papel nous entraîne ensuite dans un univers Crimsonien d'une noirceur absolue, avant que El Llamado del Totoral nous transporte dans le bush australien, didgeridoo et percussions tribales en tête.
Cet éclectisme va ainsi se poursuivre tout au long des 12 plages qui peuplent cet album, avec un petit détour par des sonorités "folkloriques" locales (Tralcao), ou encore un inattendu mais rafraîchissant La Voz del Ninos, qui vient fort à propos scinder l'album en deux en déroulant son chœur d'enfants aux sonorités naïves sobrement accompagnées au piano. Le chant en espagnol, parfois déclamé avec fureur, accompagne finalement plutôt bien le style (ou plutôt les styles) musical (aux) de La Desooorden et n'est en aucun cas un handicap (en-dehors de la non-compréhension des textes pour les non-hispanophones) dans la sonorité globale.
Couvrant un large spectre allant du R.I.O. à la fusion métallique, en passant par un prog plus traditionnel, Ciudad de Papel se révèle globalement plus furieux et "heavy" que son prédécesseur, La Isla De Los Muertos, mais également plus varié, offrant ainsi un intérêt supérieur. Rarement le terme de fusion n'aura été autant approprié pour décrire une musique : fusion de genres, de musiques du monde, de folklore local et de rock bigarré. Hormis 2 ou 3 longueurs et répétitions, cet album se révèle tout simplement enthousiasmant par bien des égards. Une véritable curiosité propre à ravir les amateurs de progressif de toute obédience, du R.I.O. au post-rock en passant par la palette complète des différentes tendances progressives.