A l’instar de ses maîtres Carcass, Aborted ne cesse de s’éloigner du death gras et gore de ses débuts et de rafraîchir sa musique avec de nouvelles influences plus ou moins bien digérées et surtout plus ou moins bien acceptées par la fan base du groupe. Strychnine.213, sixième album des Belges, ne fait pas exception à la règle et montre un Aborted une fois de plus régénéré qui ne manquera pas de susciter la polémique et le rejet d’une partie de son public le plus incorruptible. La musique du groupe n’aura ainsi jamais été aussi mélodique, lorgnant parfois fortement vers la scène de Göteborg (c’est à dire vers le travail d’Iron Maiden sans qui toute cette vague Suédoise n’aurait jamais existée). Cette attirance vers la mélodie est très marquée sur certains riffs joliment harmonisés que n’aurait pas renié un In Flames des jours moyens, mais également dans les solos très heavy et parfois teintés d’un feeling rock n’roll et que nous aurions, pourquoi pas, souhaité plus nombreux.
Les morceaux sont également beaucoup plus groovy qu’auparavant, un groove déstabilisant qui ne trouve pas toujours réellement sa place dans l’univers thématique du groupe et dans ces morceaux manquant singulièrement d’efficacité. S’ils sont bien ficelés et peu critiquables sur la forme, ils ne décollent en revanche jamais franchement et il nous faut admettre au final que la déflagration, que l’on eût espéré ravageuse, (nous parlons de death metal) manque cruellement de puissance. Aborted se modernise donc, Aborted se mélodise (si si ça existe) mais Aborted, pas assez incisif, éprouve beaucoup de difficultés à convaincre. Malgré un savoir faire évident, les titres défilent sans déplaisir mais sans marquer l’esprit de l’auditeur, que l’absence de véritables temps forts pourrait finalement décourager.
Le groupe avance donc, évolue, progresse mais semble avoir malheureusement oublié de composer "Le" riff fatal, ultime, cette quête sans fin de générations passées, présentes et futures de guitaristes émérites. Tout est limpide, tout s’enchaîne à merveille, tout est logique mais aucun plan ne met l’auditeur sur le cul et c’est là le plus gros défaut de cette galette parfaitement calibrée (rien de péjoratif ici). Elle ne renferme pas ces quelques plans géniaux, fabuleux ou bluffants qui permettent à un album de se hisser au dessus des autres.
L’écoute de Strychnine.213 se déroule donc sans encombre, se révèle même plutôt agréable mais l’envie d’appuyer de nouveau sur la touche « play » du lecteur se fait toutefois très raisonnable. Là ou Carcass composait de petits bouts d’éternité, Aborted se contente de vous faire passer un bon moment en attendant la prochaine livraison d’un énième élève plus ou moins talentueux de la légende Anglaise. C’est déjà pas si mal !